Babylon Babies

Babylone Babies

Après être sorti du "ghetto" de la Série Noire pour son édition grand format, Babylon Babies sort en poche chez Folio SF. Amusant, puisque Dantec avait pratiquement inauguré la collection Folio Polar avec ses Racines du Mal. Une valse hésitation éditoriale qui fera désordre sur les rayonnages des plus maniaques d'entre-vous, mais qui résume finalement toute la polémique qui entoure le travail de Maurice G. Dantec. Auteur hors format, écrivain controversé apparu presque par génération spontanée, il est en fait un de ces rares artistes qui ont lentement mûrit leur propos et patiemment édifié leur imaginaire, avant de le livrer au public. Génial pour les mêmes raisons qu'il agace. Inéxpliquablement fasciné par un rêve américain qu'il croit toujours en devenir (il s'est d'ailleurs exilé au Canada, un peu comme un négatif de son camarade Spinrad), Dantec est une sorte de Jean Cau cybernétique. Campé sur ses convictions comme la statue de Vercingétorix à Alésia, il partage peut-être avec lui un certain goût du paradoxe. L'artiste selon notre homme à une mission. Une mission qui l'entraîne avec Babylon Babies, des plateaux de l'Asie Centrale aux confins de la cybernétique. 

Mission : escorter une schizophrène

2013. Frontière sino-sibérienne. Les lecteurs de La Sirène Rouge vont retrouver Hugo Cornelius Toorop, devenu 20 ans plus tard, un mercenaire désabusé, praticien assidu de L'Art de la Guerre de Sun Tzu, sniper solitaire et guérillero des causes perdues. Bref un soldat de fortune qu'un revers va pousser à accepter le contrat proposé par un colonel mafieux du GRU : escorter jusqu'à Montréal et prendre en charge pour quelques mois la mystérieuse Marie Zorn. D'elle, même le commanditaire de Toorop ignore à peu près tout. C'est pourquoi, il demande en parallèle au mercenaire de collecter sur la jeune femme autant d'informations que possible. La trame est limpide, l'intrigue posée, mais tout va singulièrement se compliquer lorsque l'on va s'apercevoir que Marie Zorn est schizophrène, enceinte, et surtout l'enjeu occulte d'intérêts dépassant de très loin les visées purement mercantiles des protagonistes.

Un livre politique et polémique

Si, du strict point de vue de la construction Babylon Babies est un polar, c'est que Maurice G. Dantec s'autorise à faire feu de tout bois pour démontrer son propos. Car propos il y a. Notre homme estime que "le travail de l'écrivain du XXIème siècle sera donc (…d')assembler un explosif métaphysique qui prenne littéralement corps dans le "matériel" humain.". L'art n'est pas, selon lui, le dernier rempart contre la connerie, mais bien au contraire le fer qui va devoir la pourfendre. L'art, et en particulier la littérature, doit être le fil empoisonné d'une épée qui inoculera dans le corps de la société l'arsenic des doutes qui la feront progresser. Voilà pourquoi Dantec entremêle à son récit ses propres démons et ses espoirs. Et même si l'intrigue est en-deçà de celle des Racines du Mal, avec Babylon Babies il réussit là où Brunner et son Troupeau Aveugle avait loupé le coche. Il entr'ouvre une fenêtre sur un devenir possible de l'homme. Même si ce futur est peut-être tout aussi illusoire que celui espéré par les théoriciens de ces utopies anarchistes ou communautaires qu'il aime tant ridiculiser. Il faut dire que le bonhomme aime la pose. Il assène ses vérités sur un mode péremptoire, affirme et réfute, joue du verbe et aime à faire montre de son érudition syncrétique. Bref il énerve parfois ! Mais n'oubliez pas que l'on peut, et même on doit ne pas être nécessairement d'accord avec lui. Après tout lui aussi, est lecteur de Sun Tzu ! Il provoque ! Et lorsqu'il nous révolte, nous pousse à l'action/réflexion, c'est qu'il touche au but. Voilà sans aucun doute ce qui fait de Maurice G. Dantec un des écrivains les plus essentiels de ces dix dernières années.

Ni polar ni un livre de SF

Babylon Babies n'est ni un polar ni un livre de science fiction. Babylon Babies n'est pas le catéchisme d'un monde à venir, car son auteur est bien trop brillant pour être un gourou. Babylon Babies n'est pas un roman révolutionnaire, car la révolution est illusion. En vertu du principe du "si tu n'as rien à dire autant fermer ta gueule", Dantec se permet de l'ouvrir. Babylon Babies est un livre politique et polémique, comme devrait l'être tout livre. Toorop le guerrier c'est Dantec, c'est vous, c'est moi. Babylon Babies est un manuel de survie déguisé pour le XXIème siècle. En conséquence il est vital pour vous de le lire.