L'Œil du Fouinain
Oh oui, pas de doute là-dessus, c'est du Wagner tout craché ! Mais avouons que pour les non-aficionados (comme moi), L'Œil du Fouinain a de quoi surprendre. Il surprend par son ampleur et sa dimension épique, par les multiples rebondissements de son histoire et il surprend par l'aisance avec laquelle il nous entraîne dans cet univers complexe. Et tant mieux si tous ceux qui (comme moi) ne voyaient en Roland C. Wagner qu'un sympathique trublion, en sont pour leur frais.
La fin d'une dictature
Au milieu du troisième millénaire, tout à la fois pour échapper à la dictature des Néo-Puritains, qui maintiennent depuis plus de cent ans la Terre sous une férule de plomb, et pour mettre à l'abri de ses derniers une formidable base de données culturelles, Kerl Kasperl s'est engagé dans la marine stellaire marchande. Si en temps subjectif il n'aura vieilli que de cinq ans, il espère que ce voyage qui va lui faire subir un saut dans l'avenir d'une cinquantaine d'années, le ramènera sur un monde plus proche de ses aspirations profondes. Un monde, peut-être, débarrassé des Néopurs. Il paye pour son rêve le prix fort, puisqu'il laisse derrière lui son seul vrai amour : Sue.
Hélas, contre toute attente, les principes du temps subjectif ne vont pas s'appliquer à lui et c'est un vieillard qui revient cinquante ans plus tard sur un monde effectivement débarrassé de la dictature, mais qui apparaît vite bien terne à Kerl. Cette impression de revivre dans un décor fait à partir de références pré Néopures lui laisse comme un arrière goût d'amertume. Plusieurs surprises de taille l'attendent pourtant aux détours de cet univers factice. Tout d'abord un Fouinain, extra-terrestre cartoonesque, prend contact avec lui et attire son attention sur une prostituée qui ressemble étrangement à la Sue qu'il a laissée sur Terre un demi-siècle plus tôt. Le temps d'apprendre qu'il s'agit bien d'elle, mais qu'on l'a reconditionnée et apparemment rendue immortelle, il entre dans le collimateur de Merteuil Filvini, le responsable des Personnels Volants de Sahara Beach, et qui est prêt à tout pour savoir ce que le Fouinain lui a révélé. Enfin apparaissent un peu partout des inventions reposant sur des principes physiques impossibles, comme l'anti-gravitation, les communications instantanées, etc. Très vite la machine va s'emballer et c'est pour sauver sa vie et récupérer Sue pour qui il est devenu un complet étranger, qu'il va se lancer dans une course poursuite qui ne trouvera sa résolution que dans la profonde mutation de l'Univers.
Au mieux de sa forme
Une bonne part du grand talent de Roland C. Wagner réside dans son génie de la récupération. Un génie qu'il pousse cette fois à l'extrême, sans une seule fois tomber dans la farce, comme cela a parfois pu être le cas dans certains de ses précédents romans. Il ouvre cet Œil du Fouinain sur une ambiance de série noire déglinguée pour la porter à une apogée quasi mystique. Entre temps, c'est bien un Wagner au mieux de sa forme que l'on aura retrouvé, enfilant comme autant de perles private jokes, références rocks et appels du pied vers tous les univers, les plus dingues comme les plus communs, qui voisinent avec son imaginaire débridé. Roman dense et trépidant qui vous gagnera sans coup férir, L'Œil du Fouinain est la réécriture de sa Poupée aux Yeux Morts, parue au Fleuve. C'est surtout l'occasion de faire connaître au plus grand nombre les visions hallucinées d'un des auteurs les plus attachants et les plus intègres de la SF française. L'occasion de se rendre compte quel écrivain il est.