Trois pépins du fruit des morts
J’avais promis de ne plus me laisser avoir depuis mon achat malencontreux de la saga des Forces Majeures : il n’y aurait plus jamais de livre acheté sur la quatrième de couv’ à la fnac. J’aurais dû respecter ma promesse. Le titre est alléchant : Trois pépins du fruit des morts. Il en appelle au conte classique, à l’humour, au rêve. La quatrième de couv’ parle d’adolescence et d’immortalité. Tentant. Je me laisse facilement aller à la tentation, il faut dire, ces derniers temps… J’ai besoin de me reposer des dernières parutions, des orques et des héros en cuir. Auteur (auteure ?) féminin. Je prends. L’histoire ? Une jeune fille – une enfant encore – découvre à la sortie de son collège la déesse Perséphone, femme d’Hadès, dieux des enfers et lui demande de la rendre immortelle.
Qui se lit aisément en se voulant littéraire
Le début est maladroit mais c’est un début ; plein de promesses et de détails. Arrive la voix de Kyra la déesse. Bluffée, je reste. C’est lyrique, c’est joli. Bien écrit. Ca valait un peu de maladresse. Les ennuis arrivent après (avouez que vous attendiez le « mais »…). La structure est très simple : trois voix, celle de l’héroïne, Annabelle, de la déesse vengeresse, Kyra et de Maria, la mère d’Annabelle. Quand Annabelle parle, c’est le quotidien, à la troisième personne ; on a dit le quotidien, pas la réalité. Annabelle mange des céréales, pas des Kellogs, sa mère a vu une photo dans un magazine féminin, pas dans Elle ou Marie-Claire. Le terme générique tente de passer inaperçu et de donner de la véracité à l’ensemble: effet raté et agaçant. Vous verrez mieux pourquoi dans quelques lignes. Très vite, le lecteur a reconnu les effets à la Stephen King, la day after day touch. On prend des éléments du quotidien et on les mélange avec du fantastique. Attention, voilà de la vie de tous les jours avec des vrais morceaux d’horreur dedans. Extension de l’imagination. Connu et reconnu. Efficace. A part que… Stephen King mélange. Il n’expose pas d’une voix monocorde des listes du quotidien. Il n’y a pas de céréales chez lui. Il y a la culture américaine, marquée Kellog’s, Coca et Doris Day. Il n’a pas peur de ne pas passer à la prospérité, de sortir du classique, de faire dans le vulgaire. Il parle du quotidien en lui donnant de la consistance. C’est le défaut de l’auteur de SF français, apparemment, ces derniers temps, le manque de parti pris. A force de faire « à la mode de », on a le sentiment de lire de mauvaises traductions anglaises…
Et ne transforme aucune promesse !
Quand Kyra/Perséphone parle, au début, c’est l’extase ! Je le répète, un vrai plaisir. Puis la grâce s’en va… Le lyrisme époustouflant de la déesse immortelle devient une litanie geignarde, où le viol et la haine de la mère reviennent perpétuellement, comme si on n’avait pas compris. Lorsqu’on apprend de sa bouche, à elle, l’ancienne déesse grecque, que les hommes ont préféré « les dieux de l’argent et de la technologie », on hésite entre le bâillement et le sourire. Or, le problème, quand on fait du lyrisme et qu’on n’est pas Colette, c’est qu’il faut avoir le mot juste en permanence pour ne pas énerver ou faire rire son lecteur. Or, le lyrisme n’exclut pas un certain réalisme. Ainsi, quand on accouche, on est pas « souillées d’humeurs bien peu divines », surtout quand on est devenue mortelle. Mais de sang et d’excréments (j’allais dire de caca, mais ça ne fait pas très mature). Et quand on veut symboliser le passage à la mortalité d’une déesse, on ne nie pas le corps ; il est là et ce n’est pas sale. Rien n’est sale. Même pas le sang et le caca (en fin de compte, je m’en fiche). Voilà donc le gros défaut de Mélanie Fazi et de ce premier roman : le lecteur finit par être agacé d’être pris pour un idiot, de ces répétitions permanentes, de cette explication facile et détaillée de la vie*. Il se demande vite quel est le propos. Puis si ce propos (la perte de l’innocence, le refus de mourir) ne pouvait pas être exprimé en moins de pages, au lieu d’être étayé pour le seul plaisir de l’auteur.
Quel dommage !
Mélanie Fazi aurait gagné à ne faire de ce propos qu’une nouvelle ; sans doute aurait-elle été un véritable chef d’œuvre. Sa jolie écriture, une certaine finesse psychologique qu’on arrive à sortir de son verbiage – la puberté et ses soucis sont extrêmement bien décrits - , se perdent dans ce style monotone qui ne sait plus comment se dépêtrer d’une histoire sans consistance mais auraient trouvé toute leur ampleur dans un quart du volume. Et le pire, savez-vous ? La fin est bien. A chaud, je n’arrive pas trop à voir si c’est le soulagement qui me fait parler ou bien si la fin est réellement bien mais je trouve qu’il y a un souffle… Quelque chose de vivant qu’on avait perdu dans la redondance et les descriptions sans fin. Le problème, c’est qu’il faut se taper 200 et quelques pages avant de trouver ce souffle. Et qu’à force de s’essayer à la beauté, Mélanie Fazi arrive à la retranscrire parfois, ce qui est encore plus agaçant que si l’ensemble avait été réellement mauvais. Reconnaissons le, c’est énervant au possible, de voir toute cette beauté masquée par de la médiocrité, tout ça pour une question de calibrage et de charpente… Et ça valait bien un long article et un décorticage détaillé.
Paradoxalement, ça donne envie de lire d’autres choses de l’auteur…
Le bon côté de l’aventure ? Je vais me ruer sur les nouvelles de Mélanie Fazi, genre dans lequel elle excelle sans aucun doute ! Il parait que la critique a grandement salué ses textes, et en particulier Matilda, qui a eu le prix Merlin. Ce qui n’est pas mal, à vingt six ans et assez logique quand on est traductrice et qu’on a du talent. Car elle en a. Assurément. Peut-être encore trop pour s’essayer au fantastique sur 208 pages. On sent l’émule de Christian Bobin. Il y a des genres qu’on ne mélange pas sans risque. Louons l’effort, pour cet espoir ! Et pour la petite note humoristique, après avoir suivi une déesse planquée dans un pavillon de banlieue, on s’égaye un peu en imaginant ce que Pratchett et Gaiman auraient fait de ça… Sûrement pas des « cassettes d’un groupe de musique de variété des années de 70 » mais de bons vieux « best of de Queen… ». Il faut savoir aller jusqu’au bout de ses visions…