Littérature pour tous
« Synthèse, vulgarisation et adaptation en bande dessinée des grands romans français à l’usage de l’adolescent contemporain » : voilà le programme de Monsieur Vandermeulen pour les jeunes des villes, des campagnes et des ZUP. En prenant la posture d’un maître es-lettres, tout droit sorti de la IIIème République, Monsieur V., alias David Vandermeulen, nous propose un voyage désopilant à travers la littérature de collège. De Flaubert à Houellebecq, il nous convie à l’examen loufoque d’une quinzaine d’œuvres, exercices d’analyse à l’appui. Une façon de dépoussiérer les grandes œuvres et d’inviter, par un biais parodique, les jeunes et les moins jeunes à titiller le répertoire.
David Vandermeulen est coutumier du genre. Curieux de tout, compulsif culturel, l’auteur adore flirter avec la vraie et la fausse érudition. Qu’il s’agisse de gloser sur l’ontologie de Jean-Claude Van Damme (Initiation à l’ontologie de Jean-Claude Van Damme), de décortiquer le mythe de Faust (Faust) ou de restituer l’engagement ambigu des savants de la première guerre mondiale (Fritz Haber), David Vandermeulen met sa culture et son sens de la dérision au service du lecteur. Il s’agit de le faire rire tout en l’éduquant. Admiratif du savant, tout en fustigeant la posture condescendante et ridicule de celui qui sait, il rejette la culture en tant qu’objet de culte et milite pour une culture émancipée, pédagogique et vivifiante pour l’esprit.
On connaît moins le Vandermeulen dessinateur. Dans Fritz Haber, c’est davantage le peintre et le photographe qui sont à l’œuvre. Dans Littérature pour Tous, le dessinateur s’en donne à cœur joie. Si son coup de crayon n’est pas (encore ?) celui d’un grand maître, il est intéressant de le comparer avec le coup de patte d’un Goossens, d’un Ferri, d’un Binet, d’un Gaudelette, d’un Maëster, d’un Tronchet ou d’un Mandryka. La marque « Fluide Glacial » la plus portée vers la caricature, la moins réaliste. Le trait est plus esquissé, plus hésitant et plus haché. Mais le tout est très agréable à regarder et très drôle à lire !
Quatorze leçons (indispensables) de littérature
Monsieur Vandermeulen réunit de grands exégètes de la littérature française, qui, nonobstant leur vaste culture, savent adapter leur niveau de langage à un public adolescent en quête de savoir.
1. Monsieur Pooterschlaft commente Madame Bovary de Gustave Flaubert, d’abord dans un style ampoulé, puis avec des paroles de plus en plus zarbies.
2. Monsieur de Recheidt présente Voyage au bout de la nuit de Céline, l’auteur de Bagatelles pour un massacre, le pamphlet qui dénonce l’invasion juive à Paris.
3. Monsieur Deprez résume L’Étranger d’Albert Camus, l’auteur qui n’a écrit que pour les collèges et les lycées.
4. Monsieur Burnotte passe au crible Les Misérables de Victor Hugo, qui n’a pas écrit que des comédies musicales ou des dessins animés.
5. Racontée par Monsieur Haisse, la vie d’André Gide, ce joyeux pédophile, nous montre bien comment on peut devenir un grand écrivain même quand on a écrit beaucoup de bêtises, sur les juifs ou sur le communisme par exemple.
6. Avec Le Rouge et le noir de Stendhal, Monsieur Golenveau nous raconte l’histoire d’un jeune keum qui baise bien, mais qui finit mal.
7. Dommage que Mademoiselle Adeline Weeckemans ne se souvienne plus que de la madeleine dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust…
8. Monsieur Lewis fait appel à Patibulaire, Donald, Daisy, Picsou et Clarabelle pour nous faire découvrir Eugénie Grandet de Balzac.
9. Monsieur Lowenblum nous raconte pourquoi Bel-Ami de Guy de Maupassant, c’est vraiment trop fun.
10. La Disparition de Georges Pérec est l’occasion, pour Monsieur Heinne, de nous faire découvrir la secte oulipienne et sa psychose des « e ».
11. C’est parce que L’Écume des jours de Boris Vian est un livre de jeune pour les jeunes que Monsieur Soulié nous raconte pourquoi tout le monde meurt dans l’histoire.
12. Monsieur Mazet nous propose une lecture de Zadig de Voltaire à partir de la vie originale de Zinédine Zidane.
13. Monsieur Durand s’indigne du succès de La Mare aux diables, un roman plein de platitudes écrit par une femme, George Sand.
14. L’auteur, Monsieur Houellebecq, essaie de commenter son livre Extension du domaine de la lutte, mais ce n’est pas facile…
Bravo Monsieur Vandermeulen !
Monsieur Vandermeulen révolutionne la pédagogie avec une méthode d’enseignement radicalement innovante. S’appuyant sur une médiation visuelle d’accès aisé (la BD) et sur un langage simplifié adapté, le recueil de Monsieur Vandermeulen s’adresse directement aux adolescents (sauf dans la préface et dans l’avertissement : « tu n’es pas tenu de lire ceci »). En faisant appel à de grands vulgarisateurs qui ont chacun développé une méthode efficace d’accès à la lecture (le parler neuj, l’argot, le Zidane, Donald et Dingo, etc.), Monsieur Vandermeulen fait entrer les adolescents dans l’univers de la littérature et des grands écrivains.
En illustrant chacune des cases où se trouve un commentaire (c’est le principe, nous assure-t-il, de la bande dessinée), il va enfin permettre à la littérature de pénétrer les ghettos des banlieues. En suivant l’exemple des grandes figures de la littérature française (pédophiles, antisémites, dépressifs ou drogués), les jeunes prendront goût à la culture et se fraieront enfin un chemin, même escarpé, vers le dépassement social de soi.
Merci pour eux Monsieur Vandermeulen !