Le roman initiatique est un peu une catégorie fourre-tout. Mais Le Livre des crânes en est un au sens le plus strict.
Une fois encore, on retrouve le thème, cher à Silverberg, de la route. La route comme chemin de Damas de quatre étudiants new-yorkais, en route vers un hypothétique monastère du Nouveau-Mexique, dont les moines seraient les seuls détenteurs du secret de l'immortalité.
Oliver, Eli, Timothy et Ned, quatre hommes différents en quête
Oliver, le mal-né, qui n'aspire qu'à entamer l'ascension de l'échelle sociale, et est déjà en route vers la respectabilité, son diplôme de médecine pour tout viatique.
Eli, le lettré, qui se sent obligé de porter sur ses épaules tout le poids des savoirs que les érudits juifs ont accumulés depuis la chute du Temple de Salomon. C'est lui qui est tombé, par hasard, sur ce manuscrit, ce "Livre de Crânes", qui mentionnait ce monastère étrange. C'est lui qui l'a traduit, et a proposé aux autres de partager sa quête.
Il y a Ned. Ned c'est l'artiste. Le pédé. Le malade. Le pervers. En Ned tout est doute, et il le masque derrière un cynisme qui ne trompe personne, pas même lui.
Et puis il y a Timothy, l'étalon américain, la quarterhorse. Sportif queutard venu au monde avec une petite cuillère en argent plantée dans la bouche. Si tout est facile pour lui, c'est simplement qu'il en a toujours été ainsi. La vie n'a jamais été pour lui qu'un océan d'insouciance. Pour lui, c'est joué. Il sera parmi les élus, il ne peut pas en être autrement.
Car élu il y aura. Si Eli les a invités à le suivre dans cette aventure, c'est que les textes sont clairs sur ce point. Quatre se présenteront, et deux seulement accèderont à l'immortalité.
Deux. Alors ? Qui ?
C'est tout le secret de cette œuvre très marginale dans la bibliographie de Silverberg, puisque le seul élément de fantastique, n'est qu'un prétexte, un catalyseur de l'action. L'action, c'est cette découverte à quatre mains de la vie. Une intrigue bateau, et pourtant un roman d'une richesse et d'une rare intensité. Une fois encore Silverberg nous parle de nous, de ce que nous étions à vingt ans. Si Le Livre des Crânes est, en soi, moins sombre que L'Oreille interne (qui sortira la même année), il a ceci de fascinant, qu'il plante son décor dans les années les plus obscures de notre vie. Ces années où, délibérément, nous nous construisions et nous réinventions. Ces années où nous dépensions tellement d'énergie à ne pas être nous-mêmes et à se donner l'illusion que nous sommes parfaits. Le Livre des Crânes est un livre dur, car il nous parle de ce que nous avons voulu oublier. Et il nous en parle bien. Et c'est d'autant plus douloureux.
Lorsque je vous disais, en ouverture, que nous avions affaire à un roman initiatique, ce que j'avais négligé de vous dire, c'est que c'est à vous que Robert Silverberg a réservé la meilleure part de l'initiation. Car Le Livre des Crânes, est l'un de ces livres qui vous fait grandir un peu.