Jusqu'au jour où, expédiée depuis les Etats-Unis, lui parvient sur la base où il travaille une boîte à café contenant les cendres de son père. Un père dont il était sans nouvelle depuis plus de vingt ans. En fait depuis le jour où il avait quitté la communauté des Cornouailles où il vivait avec sa mère et une demi-douzaine d'autres militants anti-nucléaire, ne laissant à Cooper que le souvenir d'un sinistre connard égoïste qui lui avait volé son enfance et des questions destinées à ne jamais recevoir de réponses.
Et pourtant des réponses, cette brutale réapparition en appelle. Et c'est bien sûr aux Etats-Unis qu'elles se trouvent…
Même s'il n'est pas un geek, le portrait que James Flint en dresse est convaincant. D'autant plus convaincant que le bonhomme écrit bien. Il a avec le lecteur cette espèce de familiarité de machine à café ou de pompe à bière que savent seuls entretenir les anglo-saxons, et qui n'est pas sans évoquer Nick Hornby. Et de fait, on entre dans ce roman comme on rentrerait dans l'une de ces chroniques trentenaires. Fluides, un petit peu cyniques, infiniment réjouissantes, mais pathétiquement datées et prisonnières de leur temps. Comme c'est joliment troussé on suit donc sans encombre ce pendant masculin à la sauce html de Bridget Jones, jusqu'au moment où l'on se rend compte que le cynisme mondain cède la place au désarroi, que la friche de cette petite vie est en fait le gâchis d'une enfance assassinée et que cette quête à la Bonzo à travers les Etats-Unis, c'est la course éperdue d'un grand ado attardé que la vie a rattrapé le jour où la mort s'est matérialisé devant lui.
Car le propos de James Flint n'est pas de nous faire rire, ni de nous faire pitié. Non. Il est bien plus sadique que cela. Son but est de pousser son personnage jusqu'au bout de ses illusions pour le confronter au néant de sa propre existence. De lui prouver qu'il ne sait rien, parce qu'il ne croit en rien, et que s'il ne croit en rien, c'est que surtout, surtout qu'il ne veut penser à rien. Pour ne pas douter. Ne pas se remettre en question.
Ce sera finalement la quête de ce père méconnu, sculpteur et tête de con dont James Flint dresse un portrait riche et contrasté, qui, remplissant finalement ses devoirs paternels par-delà la tombe, fera grandir Cooper. Alors on pourrait suivre les péripéties américaines de ce grand dadais un peu gras du bide avec le même sadisme jubilatoire que son auteur, mais il y a tellement de nous chez Cooper que ça nous est impossible. Car Electrons Libres est un livre sur l'illusion des illusions. Il agit comme un agent corrosif sur nos plus mesquines certitudes, et nous encourage à penser. Penser, pas consommer. Il n'apporte aucune réponse, et en cela il est en phase avec notre époque où plus personne ne peut s'offrir le luxe d'une certitude s'il veut prétendre à un peu d'intelligence.
Pourtant il nous manque de la rage. Même vide cette rébellion du rien en demanderait plus. Peut-être est-ce parce que c'est presque trop en douce que l'écriture de Flint passe de l'acidité à l'amertume, qu'on peut facilement ne pas ressentir tout l'impact de son propos. Et ce serait dommage de se laisser tenter à n'y voir qu'une autre chronique vaguement branchouille des trentenaires du bof. Car il y a là-dedans beaucoup plus.