Peur sur la ville
« Chère maman, Polo et moi sommes enfin arrivés à la capitale et je t’écris pour te rassurer. Nous n’avons pas trouvé Caleb tout de suite, mais nous sommes installés dans sa chambre qui est hélas située dans le quartier des monstres hybrides. Caleb n’était pas très content de nous voir, je ne comprends pas pourquoi il a cette attitude si hostile envers ses propres frère et sœur. Demain, comme prévu, nous irons voir le grand docteur Arakno pour qu’il arrête la transformation horrible qui affecte Polo. Je suis sûre que Caleb se trompe et que nous pourrons sauver mon petit frère. Je déteste cette ville et j’ai hâte de rentrer. Alice, ta fille qui t’aime. »
Les enfants du crépuscule marque la seconde publication de l’italien Marco Nizzoli aux Humanoïdes associés, après l’onirique Jour des magiciens avec Michelangelo La Neve. Comme pour ce précédent cycle, Nizzoli collabore avec un scénariste de son pays, Massimo Semerano, qui est lui aussi un jeune routard du monde de la BD – une quinzaine d’années de métier chacun. Avec leur expérience, la renommée du Jour des magiciens et la réputation bien assise des Humanos, on pouvait s’attendre à un nouveau cycle de qualité. On peut toujours attendre.
Alice, une jeune fille (ou femme ?), débarque en ville pour retrouver Caleb son grand frère – un (mauvais) poète torturé – et avec l’espoir de dénicher un remède pour Polo, son petit frère, qui semble atteint de lycanthropie. La loose de Caleb et la maladie de Polo la contraignent à s’installer au Cloaque – un quartier minable où vivent les monstres de la ville. On entend par monstres tous les êtres non complètement humains, du jeune garçon aux cheveux tentaculaires au docteur arachnoïde. Pour compliquer les choses, une élection torride se prépare et oppose deux candidats aux programmes antithétiques : un pro-monstres et un anti-monstres.
À partir de ce point de départ pourtant riche en ouvertures, Nizzoli et Semerano peignent un premier tome peu passionnant. La structure de l’histoire est bancale (voir notamment l’inutilité du prologue), les transitions s’avèrent aussi discrètes qu’un Tee-Shirt ActuSF, les dialogues sonnent nanar (lisez la première planche) et sont peuplés d’onomatopées lourdaudes, et les personnages secondaires ne dépassent pas le stade de clichés aux comportements forcés et donc pénibles. La thématique de ce premier tome – la sempiternelle réflexion sur la différence – sonne creux ; pas une seule seconde les auteurs ne croient en ce qu’ils racontent et leurs personnages ont une âme en carton-pâte. Le lecteur médisant pourrait même voir une tentative ratée de suivre la voie du Artic Nation de Guarnido (à la différence près que Guarnido sait dessiner, lui).
Le dessin est, par souci d’harmonie sans doute, à la hauteur de la banalité de l’histoire. Bâclé (notamment dans les personnages dès qu’ils ne sont pas en premier plan), découpé sans audace ni inspiration, visuellement très plat (pas de profondeur de champ, pas de plans larges) ; à part servir au jeu des sept erreurs, les planches des Enfants du crépuscule n’ont en fin de compte pas grand intérêt (ma préférée : Alice et son badge. Planche 7 : badge – Planches 8 & 10 : pas de badge – Planche 11 : retour du badge parce qu’un personnage lui fait remarquer qu’elle a un badge…). Et ce n’est pas le seul effet de relief réussi (planche 40) sur la culotte d’Alice rentrant dans ses fesses bien galbées qui va rattraper l’impression générale de gribouillis.
Soyons optimistes et concluons sur les deux points réussis de ce premier tome : les personnages d’Alice et de Polo plutôt attachants et un rendu correct des couleurs, bien adaptées à l’ambiance crépusculaire et steampunk de la ville. Ce tome d’exposition derrière eux, espérons que Nizzoli et Semerano sauront s’appliquer et s’impliquer davantage dans l’écriture et le trait pour les suivants. Après tout, la nuit est encore longue.