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Minuscules flocons de neige depuis dix minutes

Sabrina Calvo ( Auteur), Daylon (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/06  -  Livre
ISBN : 2915793190
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Arkady   - le 20/09/2018

Minuscules flocons de neige depuis dix minutes

« La neige est comme un fantasme, un monde ancien disparu, comme le reste de la planète. »

Envoyé à L.A. pour couvrir un salon de jeux vidéo et pour rencontrer le mystérieux Dillinger de la société Vectracom qui est en passe de révolutionner le petit monde illimité du virtuel, notre narrateur se retrouve plongé dans un L.A. halluciné peuplé de moustachus et de néo-prophètes, lancé à la recherche des secrets autour des Studios Disney TM, égaré face aux motards de TRON et à un Godzilla spermatique dans cette quête de pouvoir pour accéder au trône, à la chaise rouge, qu’importe, qui promet les commandes de la réalité (?) de cette ville enneigée à la grille insaisissable. Ne m’en demandez pas plus.

David Calvo est multi-réel. Créature hybride née de la pluralité informative et culturelle de la civilisation dite occidentale, David Calvo est multiple. Ce que nous savons de la copie du David Calvo qui erre sur notre réseau est qu’elle aime les gros monstres, les jeux vidéos, Bambi, Kate Bush, les peluches, Samantha Fox et les virgules. Ce que je sais aussi c’est que mon lapin bleu en peluche n’aime pas David Calvo, son œil borgne se recroqueville dès qu’il se met à neiger, et il rêve chaque nuit qu’un Godzilla avec un sexe aussi long que le tunnel secret d’évacuation de Marceline, le réseau souterrain mystérieux enfoui sous les souvenirs en ruine des Studios Disney TM, vienne le pénétrer à l’heure où les étoiles s’éteignent et où vos enfants dorment, et il crie, il hurle, il s’époumone, des poussières pelucheuses pleuvent et pleurent sur les draps, neiges de cendre, plumes de canard tétraplégique, mais personne ne l’entend, fréquence auditive imperceptible, un vague dos d’âne sur le réseau d’écoute des hélicoptères, les bleus avec un camouflage de poisson tigré seconde génération, qui veille sur la nuit, sur la Ville, sur L.A., sur la Grille, sur vous, sur votre silence, eux qui tissent la trame de la réalité, celle que vous retrouverez au matin, mais pas celle qui se désagrége déjà dans vos angles morts, celle où les hurlements de mon lapin bleu en peluche ne cessent jamais de résonner. Ce qui est de notoriété publique est que lire David Calvo est dangereux, ne faîtes pas lire David Calvo à vos enfants, filles ou garçons ou hermaphrodites, ni même à vos animaux domestiques, encore moins à vos amis imaginaires qui risqueraient de devenir plus réel que vous. Ne lisez pas David Calvo. Ou alors ne le dites pas.

Et sinon MFDNDDM c’est bien ? Ouais. Mais bon.

« … il m’a semblé important de raconter ce qui s’était réellement passé – telle est, je crois, la fonction de la littérature, pour peu qu’une telle chose existe encore. Préserver la voix de ces témoins, dépositaires d’une vérité oubliée, qui n’a peut-être jamais existé, et qui valident, par leur seule existence, le principe d’incertitude appliqué à la réalité, à la pixellisation du monde, au suicide de l’occident dans l’extrême virtualité. »

Fasciné par la transculturalité de notre époque (ouais je sais c’est pourri comme expression mais la 4e de couv parle bien de « solitude digitale » et de « poésie de la postmodernité » alors je vais pas me gêner), David Calvo livre un roman hardcore sur l’immersion du réel dans le virtuel ou plutôt du virtuel dans le réel ou sur le fait que justement plus rien n’est réel, ni virtuel, il n’y a après tout que votre univers, vos règles, vos repères, votre Grille qui forge votre réalité quantique. Son narrateur, dépersonnalisé – pas nommé (sauf erreur de ma part) et qui surabonde d’infinitifs impersonnels dans sa prose – comme le vecteur, le faux nouveau prophète de cette ère nouvelle (faux car ce roman regorge de prophètes, nous sommes tous nos propres prophètes). Le portrait en trompe-l’œil et en trompe-bite si je puis dire de cette renonciation à une réalité affichée vendue étalée partagée prend principalement le visage d’un NetWorldtangible. Certes, sont aussi effleurées pudiquement l’industrie du spectacle, la reconstitution urbaine théâtralisée d’une réalité décalée, l’artificialité des règles d’une entreprise, et cætera sous l’égide protectrice de L.A., la Ville postmoderne pour Calvo, le symbole matriciel de la déréalitisation du monde (et oué).

Si cette plongée dans le délire total et totalement assumé d’un geek / nerd / hardcore gamer / schyzoïde de niveau 20, aptitude + 5 aux hélicoptères + 8 à la fellation et + 14 aux virgules, peut séduire dans les prémices alléchantes de MFDNDDM, ce jusqu’au-boutisme acharné devient vite lassant, ennuyeux et finalement un peu vain. Si la réflexion que semble vouloir entamée David Calvo sur la virtualité réelle du monde, de nos mondes, est justifiée, son apogée est vite atteinte (disons dans les couloirs obscurs de Marceline cette cochonne) et le reste tourne à vide. Le dernier chapitre enfonce un peu l’errance du narrateur / auteur car trop démonstratif, limite prétentieux genre voilà ce que j’ai voulu raconter vous dire vous montrer : la chaise rouge Godzilla la Grille la neige le pixel tout ça, oui je sais mais bon c’est pas comme si on n’avait pas compris on n’est pas (si) bête non plus. Plus dommageable que cette conclusion malhabile, c’est que Calvo mord et ne veut plus lâcher tant que tout n’est pas parti. Résultat : à trop vouloir aller à fond dans son trip, Calvo nous en met plein la bouche sans qu’on ait le temps d’avaler. Le lecteur non initié à la singularité du milieu informatique ou vidéo-ludique risque de ne pas comprendre et continuera à prendre les joueurs pour de grands adolescents un peu attardés qui quand même feraient mieux de chercher un meilleur boulot de sortir un peu d’avoir une vie sociale quoi de rencontrer des filles à notre époque les jeunes étaient pas comme ça et pis rendez-vous compte c’est des coups à finir psychopathes ou pire homosexuels. Quant aux autres, soit ils acceptent le trip de Calvo, mais généralement c’est parce qu’ils sont déjà dedans ; (regardez un point virgule c’est mignon tout plein aussi) et les autres (oui dans ma réalité il y a plusieurs catégories d’autres) seront déçus car Calvo n’exploite pas assez, à mon avis, la véritable richesse de son propos : la virtualisation TOTALE du monde et L.A. ; Internet et les jeux vidéo n’en sont que des composantes.

« Je voulais quelque chose de différent, des gens différents, intéressés par des sujets qui ne soient pas la réalité mais qui pouvaient y accorder autant d’importance. Nous sommes des individus, reliés entre eux par des flux d’informations, compositions abstraites de leurs êtres, tapisserie virtuelle de nos stratégies ontologiques. »

Au final, MFDNDDM est un bon roman, intéressant, qui contient de nombreux moments fulgurants de poésie, de coolitude, de n’importe quoi mais j’aime bien le n’importe quoi, les passages sur L.A. sont vraiment bons, Pongo est méga-cool, et un bouquin qui évoque le film Miracle Mile est forcément recommandable, et pis j’aime bien la neige, et en plus la couv est jolie (ça change des pâtés criards over-brushés auxquels l’illustrateur nous avait habitués), mignonne même, je suis sûr que pour draguer les filles, même celles avec des couettes, c’est un bon bouquin à avoir sur soi, oui mais voilà tout cela n’est pas abouti. David Calvo avoue écrire dans l’urgence. C’est sans doute très louable, ça explique la spontanéité, la fraîcheur, la vulnérabilité touchante qui l’habite par endroits, mais si cela entrave la portée de l’œuvre, handicape sa force, brise sa foi, alors tout cela ne sert au final à rien. Déjà dans son recueil Acide Organique, Calvo laissait le fond s’auto-guider à cœur ouvert via une forme assoiffée, une volonté narrative qui fonctionne sur du court mais qui sur du long ne prend pas, ne peut pas prendre sans un minimum de recul, d’ouverture, de je sais pas c’est pas comme si je connaissais la vérité vraie qui tue sur l’écriture mais voilà je trouve ça pas assez travaillé, mature, réfléchi je sais pas démerdez-vous. Parce que ça m’ennuie de le dire, si si sincèrement mademoiselle je vous promets j’aime bien David Calvo, je l’aime beaucoup même, mais là non quoi tout cela est trop long, trop répétitif, pas structuré pour un poil, pas maîtrisé sur la longueur (non franchement), pas attachant, avec des personnages secondaires – hors Pongo j’insiste - trop fades (ou trop moustachus allez savoir) et surtout too much, trop meringué comme disent les quadragénaires élevés au pulp light sans sauce, trop délire, je dirai même trop regardez comment c’est du délire, et y’a trop de virgules p’tain, alors que le sujet était là, juste là, pas loin pourtant, juste à quelques flocons, fais chier tiens, mais lisez-le quand même hein.

MFDNDDM est un roman qui se devait d’être écrit. Soit. Mais j’aurais juste aimé qu’il soit écrit pour être lu. Oui les étoiles l’amour les petits chats l’urgence tout ça je sais. Mais voilà regardez ma chronique je suis sûr que j’y ai dit plein de choses vachement pertinentes biens vues et tout mais c’est tellement le bordel que voilà même moi j’y comprends rien c’est con hein mais voilà j’avais toutes ces choses à dire et elles sont sorties comme ça et comme je suis une grosse feignasse et que mon responsable de rubrique est un vieux rocker baba-cool et ben elle est restée en l’état que voulez-vous vraiment les jeunes de maintenant tout juste bons à passer des heures devant leurs ordinateurs foutue époque décadente. Tss.

Allez un dernier extrait pour conclure qui n’a rien à voir avec ce que je viens de dire mais on n’est plus à ça près et puis j’avais envie de le caser comme ça comme une pulsion mon côté lesbienne sans doute ou juste parce que c’est beau et qu’on est jeunes en plus je suis sûr que c’est même pas de Calvo ou alors qu’il n’est pas le premier à le dire mais lui il le dit mieux d’abord : « Baiser permet aux hommes de se protéger contre leur désir d’être une femme. »

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