Les gardiens d'Aleph-Deux

Les gardiens d'Aleph-Deux

Colin Marchika, bien que statisticien, ne s'est tout d'abord pas illustré avec de la hard S.-F., comme on aurait pu s'y attendre, mais avec un roman de fantasy, La Reine de Vendôme, qui a recueilli bon nombre de critiques positives. Les Gardiens d'Aleph-Deux, son deuxième roman, est lui plus orienté S.-F. Hard S.-F. ? Faut voir... Entre ces deux romans très différents, il a publié un recueil de nouvelles, également chez Mnémos, Les poubelles du Walhalla, un ensemble hétéroclite de nouvelles dont l'une, justement, s'appelle Aux Portes d'Aleph-Deux et met en scène un certain Frédérick Howard... C'est en prenant cette nouvelle pour prologue que s'ouvre Les Gardiens d'Aleph-Deux, et le récit de l'exploration de l'espace au-delà même de l'espace.

A l'assaut de l'espace deux...

Les frères Hendricks se complètent à merveille: l'un est un mathématicien extraordinaire, l'autre un hurluberlu aux intuitions géniales, mais qui ne comprend pas grand chose aux mathématiques de haut vol. Leur travail, en complétant celui du groupe chinois Daxiang sur la vitesse de la lumière, va permettre à l'humanité de prendre véritablement son essor parmi les étoiles. Pour éviter la mainmise d'une corporation sur le voyage spatial, c'est un organisme public multinational, l'académie Tsiolkovski, qui va être seul dépositaire des connaissances nécessaires. Et responsable de l'avancée des recherches. Quel qu'en soit le prix...

Mais le cerveau humain n'est pas forcément conçu pour pouvoir appréhender certaines choses. En particulier lorsqu'il n'a accès qu'à un seul aspect d'un problème bien plus complexe. Les voyages spatiaux sont dangereux. Les astronautes craquent. Les vaisseaux disparaissent sans laisser de traces...

Un roman ?

Les gardiens d'Aleph-deux est plutôt une série de nouvelles, articulées autour de quelques personnages communs, et dans un univers partagé. Déjà, simplement de par ce format, on pense aux Seigneurs de l'Instrumentalité de Cordwainer Smith. Et ce n'est pas la dernière fois... Il faut avouer qu'il y a un certain nombre de similitudes : le style, tout d'abord, très simple, très détaché; pas de fioritures pour raconter l'histoire. Des thèmes à la fois très particuliers, et universels: le combat des cyborgs fait irrésistiblement penser au sous-peuple et aux sondeurs. Des personnages qui, bien qu'esquissés avec une grande économie de moyens, prennent vie et consistance dans l'esprit du lecteur, surmontant l'un des plus grands écueils des romans de hard S.-F.: la caractérisation (repensez aux romans de ce genre que vous avez lu; ce dont on se souvient à posteriori, dans la plupart des cas, ce sont les idées techniques ou scientifiques; les personnages sont rarement inoubliables). Mais pourquoi cette obsession avec la hard S.-F., me demanderez-vous ? Parce que Colin Marchika ne s'est pas contenté de faire ici une imitation de Cordwainer Smith. Il a injecté ses propres idées, ses propres amours. Les gardiens d'Aleph-deux étant plus proche de nous dans le temps, on y trouve plus de politique et de réflexion directe sur notre société. Il s'est intéressé également à l'arrière plan scientifique, aux fondations mathématiques : attendez-vous donc à rencontrer quelques discussions sur les équations différentielles au détour d'une page. Mais ces ajouts ne sont pas gratuits. Dans l'univers d'Aleph-deux, esprit humain et mathématiques sont indissociables...

Les gardiens d'Aleph-deux n'est peut être pas aussi inoubliable que Les Seigneurs de l'Instrumentalité, mais il s'agit d'un excellent roman qui confirme le talent de Colin Marchika. Un roman, finalement ? Oui, car les nouvelles se complètent et s'illuminent réciproquement pour former un tout cohérent et passionnant.