Milieu Naturel

Milieu Naturel

David Ratte est né en 1970 à Besançon. Après une formation avortée de décorateur et architecte d’intérieur, il se lance dans le dessin publicitaire à 17 ans et en fait son métier. Après quelques tentatives pour percer dans la BD (fanzine, concours…), il rencontre Arleston et publie des récits dans Lanfeust Mag. Milieu Naturel, premier tome de sa série Toxic Planet, est son premier album.

Haut les masques !

Sam est un citoyen ordinaire européen, c'est-à-dire qu’il porte en permanence un masque à gaz pour échapper à l’atmosphère saturée de pollution. Il travaille dans une usine dont le seul but semble être de produire des fumées toxiques, et n’échangerait pour rien au monde - surtout pas pour un peu de verdure - son « milieu naturel ».

Sous forme de strips humoristiques d’une demi planche ou d’une page, Sam évolue dans ce monde embrumé où il est presque impossible de reconnaître ses voisins. Il est accompagné de plusieurs personnages récurrents comme sa petite amie, sa mémé (dernier vestige d’un temps où les arbres existaient encore), son collègue Tran qui semble être le dernier représentant des écologistes, et même un président petit, brun et cynique qui n’a pas besoin d’enlever son masque pour qu’on le reconnaisse…

Un constat d’échec plus qu’une critique militante

David Ratte ne prétend pas être un donneur leçons. Il le dit lui-même, il n’est pas militant écolo et pense qu’il vaut mieux aborder le sujet de la pollution sur un ton léger plutôt qu’en culpabilisant à outrance les citoyens avec des discours catastrophistes. Il y parvient admirablement dans Milieu Naturel, dont le format de petites histoires à chutes est idéal pour faire passer des messages forts avec une brièveté qui les amplifie et un humour qui les fixe dans l’esprit. Le principal ressort scénaristique de la BD est le port permanent du masque à gaz, que l’auteur exploite parfaitement. Il en fait ainsi le symbole d’un monde qui étouffe et d’une pollution qui s’auto alimente (construire de nouvelles usines pour fabriquer des masques !), mais l’utilise également comme simple déclencheur de situations cocasses naissant de la confusion des personnages qui ne parviennent pas à se reconnaître.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. L’humour est plus souvent ironique que jovial. Ainsi, on rit jaune lorsque la pollution est considérée comme naturelle par ceux qui la subissent, dénotant une accoutumance à des conditions de vie déplorables, comme si l’homme ne voulait pas admettre le danger. L’ai pur est alors considéré comme une drogue et les écolos comme des terroristes. Plus généralement, Ratte dénonce l’inconscience et l’aveuglement de l’humanité face aux problématiques d’environnement, et l’acceptation d’une fatalité contre laquelle personne ne se soucie de lutter. Toutefois il n’accable pas ses personnages, qui sont autant victimes que coupables. Milieu Naturel est plutôt un constat d’échec qu’une charge accusatrice, et n’exclut pas quelques accès d’optimisme (l’Afrique, par exemple, où il fait encore bon vivre).

Seul le gouvernement semble en prendre véritablement pour son grade, lui qui a conscience de la situation mais l’entretient plutôt qu’il ne la combat, puisqu’elle sert ses intérêts…

Un graphisme à la hauteur

Le message de David Ratte ne passerait pas aussi bien sans des dessins nettement à la hauteur. Son trait précis et harmonieux, traditionnel, rend à merveille le mouvement et les attitudes, grâce auxquels l’auteur parvient à exprimer les sentiments des personnages sans montrer leur visage. Un véritable tour de force ! Quant aux décors, ils sont plutôt inexistants - puisque la fumée recouvre tout - mais pas négligés pour autant. Le papier peint de l’appartement de Sam est ainsi, assez ironiquement, parsemé de petites fleurs… On notera également l’excellent travail de Sylvie Sabater sur les couleurs, vives et chaudes malgré la pollution omniprésente, rendant la lecture très agréable à l’œil.

Le seul reproche que l’on puisse faire, visuellement (et peut-être financièrement) parlant, est que la plupart des planches sont à moitié vierges, les histoires remplissant le plus souvent une demi page. Peut-être est-ce une volonté de l’auteur d’aérer ses planches - à défaut d’aérer ses personnages ! Mais certains lecteurs auront sans doute l’impression de se faire légèrement avoir…

Vous reprendrez bien un peu d’acide ?

Milieu Naturel est ainsi une très bonne BD, tant sur le fond que sur la forme, et laisse présager d’une série de qualité, si David Ratte parvient à se renouveler. Ce cocktail de critique et d’humour fonctionne bien, servi par un graphisme très plaisant. Si bien qu’on attend la suite avec impatience, en espérant qu’un jour, peut-être, Sam puisse enlever son masque…