Ce monde est nôtre
Francis Carsac a marqué de son empreinte la science-fiction française dans les années 60. Il a su apporter au travers de ses romans d'anticipation (Ceux de nulle part, Les Robinsons du cosmos, Terre en fuite, Ce monde est le nôtre, Pour patrie l'espace et La Vermine du Lion) une réelle réflexion personnelle, non seulement sur l'avenir, mais aussi et surtout sur la société et le monde de son époque – pas si éloignée que cela de la nôtre. De son vrai métier (il était géologue), il a appris à avoir beaucoup de recul et une vue neutre et globale de toutes les situations.
Un planète = Une race !
Les Terriens ont rejoint la Ligue des Humanités depuis maintenant huit siècles (voir Ceux de nulle part) et prennent désormais une part active à la lutte contre les ennemis de la Vie. Akki Kler est à demi-terrien, Hassil est un humain à la peau colorée de vert. Ils sont Coordinateurs de la Ligue et chargés de régler les conflits entre humanités avant qu'ils ne dégénèrent. L'énergie guerrière doit être réservée au combat contre la seule menace qui s'oppose aux humains : les Misliks.
Pour éviter la guerre, la Loi d'Acier stipule qu'une seule race d'humains est tolérée par planète. Les deux amis arrivent sur Nérat, un monde sur lequel se trouvent non pas deux, mais trois peuples différents. Le premier groupe qu'ils rencontrent est composé de colons arrivés depuis plusieurs siècles et revenus à un âge féodal. Le second est formé de bergers vivant en autarcie dans leurs montagnes. Le dernier, ressemblant à Hassil, est encore à une époque tribale.
Ils sont venus pour amener la Paix des humanités, mais leur venue bouscule le fragile statut-quo qui règne sur Nérat. La guerre ravage les territoires et décime les populations. Même les Coordinateurs et leur matériel d'avant-garde n'arrive pas à contenir les belligérants. Pourtant ils doivent apaiser le conflit et arriver à trouver la meilleure -ou la moins mauvaise – solution pour tous les humains, quelle que soit leur origine et la couleur de leur peau... Et ceci quels que soit les sentiments, de haine ou d'amour, qui peuvent avoir germé dans les coeurs pendant cette épreuve.
Quand science-fiction rime avec réflexion...
Afin de se débarrasser du sujet, disons-le rapidement : l'écriture de ce livre ainsi que nombre de remarques - sur les technologies en particulier – sont très datées et prêtent aujourd'hui à sourire. Ce texte a plus de quarante ans et cela se ressent dans les descriptions.
Mais ce n'est pas le plus important, ni ce qu'il faut retenir de cet ouvrage. En fait, il est encore, au XXIème siècle, encore plus cruellement d'actualité qu'il ne l'était lors de son écriture. C'est, derrière sa façade banale de space-opéra mâtiné d'eau-de-rose, un vibrant plaidoyer pour le respect de chacun, l'acceptation des différences et la reconnaissance des droits de l'Homme à vivre libre et debout.
Haines, vengeances, vendetta, légendes et contre-vérités parsèment le texte presque autant que l'histoire de notre humanité. Comme un miroir déformant, capable de mettre en relief les pires défauts que nous cachons tous au fond de nous, il nous pousse à nous interroger sur la justesse de nos choix, de nos sentiments et de nos croyances.
Il est si facile de mettre des noms actuels sur les peuples décrits par Carsac, de comparer avec des situations existantes ou ayant exister, qu'il semble que ce livre ait été écrit non pas en 1962, mais hier, à l'aurore de notre nouveau siècle.
Parfaitement dans la lignée de Ceux de nulle part, il fait partie des livres qui apportent un vrai niveau de réflexion au genre souvent décrié de la science-fiction.