Les Nombreuses Vies de Conan
Les Moutons électriques nous offrent, avec ce texte qui se veut de référence, une plongée dans les profondeurs de la conanologie, ou science de Conan le Barbare. Ouvrage collectif dirigé, à la manière d’un texte universitaire, par Simon Sanahujas, Les Nombreuses vies de Conan propose de traiter Conan comme un personnage historique et reconstruit avec patience l’univers mental de son papa, Robert E. Howard. Bref, de quoi ravir le Conanophile qui sommeille en nous depuis notre plus tendre enfance, mais également le bibliophile, puisque la couverture et les illustrations diverses en font un bel ouvrage, qui trônera fièrement entre l’édition complète des Œuvres de Howard et Ainsi Parlait Zarathoustra.
Club des amis de Conan, bonjour
L’ouvrage comprend une biographie appuyée sur une chronologie très complète, qui prend en compte la multitude de romans et de nouvelle que Howard a dispersé aux quatre vents. Nous avons donc le plaisir de suivre l’évolution du Cimmérien, depuis sa jeunesse décérébrée jusqu’à l’ère de la maturité et du triomphe. On regrette que ce texte ne soit pas grand-chose d’autre qu’une mise en ordre et une paraphrase, c'est-à-dire une savante répétition qui raconte en moins bien. De plus, le charme du cycle de Conan tient en partie à la dimension parcellaire, non chronologique, des textes de Howard, qui donnent un caractère nébuleux et mythique au récit. Le manque de mise à distance de ce texte et le sérieux avec lequel une chronologie ubuesque est proposée peuvent laisser songeur.
Le roi est nu
À cela s’ajoutent un ensemble de goodies, que sont une description du monde de Conan, une recension passablement érudite de la bibliographie de Howard, un travail sur les sources de l’auteur. Et là, difficile d’accrocher à moins d’être le genre de personne qui collectionne des épées dans son salon et dit « Crom ! » aux automobilistes qui ne cèdent pas le passage. La géopolitique de Conan le barbare s’avère un texte érudit, qui essaie de systématiser ce qui n’est de la part de Howard qu’un ensemble d’emprunts aux mythes occidentaux. Si la dimension bric-à-brac du monde de Howard est assez intéressante, elle ne présente pas un intérêt énorme lorsqu’elle est ainsi mise à plat. En effet, rien de comparable, ni en termes de cohérence, ni en termes de poésie, aux créations d’un Tolkien. En somme, les auteurs du livre rendent en réalité un bien curieux service à notre Cimmérien préféré : voulant l’adorer, ils l’exposent de manière bien systématique. Mais autant, dans les textes de Howard, ce grand patchwork fonctionne parce qu’il est dispersé, autant avec cette présentation la saga de Conan apparaît comme dotée d’un appareillage intellectuel indigent… le roi est nu, en somme.
Fâcheuse conanolâtrie
En bref, pourrait-on dire, le livre parfait pour un rôliste qui souhaiterait s’emparer de l’univers de Conan de manière utilitaire, dans la perspective de longues soirées d’hiver entre copains. Mais il reste une arrête de taille à digérer avant de s’approprier Les nombreuses vies de Conan. C’est le manque de dimension critique. Emportés par leur conanolâtrie, ou adoration de Conan, les auteurs n’ont pas peur d'expliquer comment le personnage est complexe, trop sympa avec les femmes, doté d’une forme d’intégrité morale que tout un chacun devrait lui envier. Ils n’ont pas froid aux yeux pour décrire sans commentaire le système racial sur lequel repose le monde inventé par Howard. Ou alors, il y avait un humour au trentième degré que votre serviteur n’a pas vu. Certains éléments, qui sont partie intégrante de l’épopée Conan le Barbare, ne passent plus en 2008, ou en tout cas ne passent plus sans un minimum de questionnement. Et celui-ci manque à l’appel…
Myopie
Vouloir joindre l’utile à l’agréable, en produisant un livre sur un des poids lourds de la fantasy du siècle dernier, donc fort vendable, n’aurait pas dû amener Simon Sanahujas, écrivain à la prose par ailleurs très pertinente, à mettre son esprit critique au placard. Dommage, pour un ouvrage aussi conséquent.