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Les loups de la Calla

Stephen King ( Auteur), Grégoire Hénon (Illustrateur de couverture), Berni Wrightson (Illustrateur interne), Marie de Prémonville (Traducteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/06  -  Livre
ISBN : 2290332461
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Lavadou   - le 27/09/2018

Les loups de la Calla

Stephen King n’est plus à présenter, d’ailleurs il serait trop long d’énumérer tous les romans et nouvelles à succès qu’il écrit depuis plus de trente ans depuis son Maine natal, d’expliquer l’influence qu’il a eu sur quelques genres de l’imaginaire comme l’épouvante ou le fantastique, et de faire appréhender son immense talent. Salem, Dead zone, Marche ou crève, Bazaar, Les Régulateurs… Un échantillon bien peu représentatif de sa prolifique production. Il y a pourtant quelque chose d’important et de relativement nouveau à dire sur Stephen King : depuis quelques années, il tente de construire une sorte de cosmogonie personnelle en reliant certains de ses écrits a priori indépendants, autour de son œuvre maîtresse : La Tour Sombre

D’une envergure exceptionnelle, cette série est aujourd’hui terminée, mais King a mis plus de vingt ans à l’écrire. Les Loups de la Calla, cinquième tome sur sept, est paru six ans après Magie et Cristal, lui-même sorti six ans après Terres perdues. Ces écarts, insupportables pour les fans, ont eu le mérite de laisser à King le temps d’affiner son univers et de le raccrocher à ses précédents romans. Entamé dans le quatrième tome, cette fusion se poursuit ici, mais l’on n’en dira pas beaucoup plus pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur. Qu’il suffise juste de préciser que Les Loups de la Calla reprend le fil de l’histoire de Terres perdues après l’intermède fabuleux de Magie et Cristal.

De retour sur le sentier du Rayon

Dans l’Arc Extérieur, au bord de l’Entre-Deux-Mondes, Calla Bryn Sturgis. La Calla, comme l’appellent ses habitants, des ranchers et des fermiers qui tentent de survivre à la déliquescence du monde. Et surtout aux attaques des Loups qui, tous les vingt ou vingt cinq ans, viennent de Tonnefoudre pour rafler la moitié des enfants du village, enfants particuliers puisqu’ils vont presque tous par paires jumelles. Les enfants enlevés reviennent plus tard, mais crânés, c'est-à-dire débiles et déformés, avec une espérance de vie réduite. Pas question pourtant de lutter : les Loups ne souffrent pas de se voir contrariés et annihilent toute opposition. Cela dure depuis des siècles et tout le monde semble s’être fait une raison, et ce n’est pas Andy qui va les contredire, Andy le robot multifonction à la programmation mystérieuse, dont la principale utilité est d’annoncer la venue des Loups.

C’est dans ce contexte qu’arrivent Roland et ses amis, de retour sur le sentier du Rayon, un mois avant le rapt prédit des Loups. Et quelqu’un, parmi les habitants de La Calla, les attend : le Père Callahan, qui n’est pas vraiment d’ici, puisqu’il a vécu dans le monde d’Eddie, de Susannah et de Jake. Dans son église, Callahan cache un objet qui pourrait rouvrir des portes entre les mondes, et permettre aux pistoleros de protéger la Rose du terrain vague, à New York…

De retour dans le monde de King

Quand j’avais refermé Magie et Cristal, j’étais triste de quitter Méjis et son ambiance de western teintée de la magie rose du pomelo de Maerlyn. Quelle ne fut pas ma joie, vous intuitez, de retrouver cette atmosphère lorsque les pistoleros regagnèrent le sentier du Rayon et débarquèrent à Calla Bryn Sturgis. Et quelle joie de poursuivre l’exploration de ce monde, de cet univers, que King tisse depuis vingt ans. Car c’est là la principale particularité des Loups de la Calla : King va de plus en plus loin dans le dévoilement de liens entre ses différents romans, dans la construction d’un univers cohérent tournant autour de la Tour Sombre. Même lorsque l’on n’a pas lu tous les récits auxquels Les Loups de la Calla fait référence, on sent, on sait que certains noms, certains mots, ont une signification particulière ou font écho à d’autres portions de son imaginaire : Callahan, opopanax (déjà lu dans Territoires – franchement, qui d’autre que King peut utiliser un mot pareil ?), le Roi Cramoisi, les régulateurs… Certes, l’accumulation de ces rappels, de ces croisements, peut faire peur : King ne va-t-il pas trop en faire, ne va-t-il pas altérer la crédulité du lecteur et risquer de le perdre ? Ce cinquième tome ne répond pas à cette question. King place ses pions et on espère qu’il les mènera dans la bonne direction dans les prochains volumes. Mais malgré cette crainte, on reste fasciné par sa faculté à créer un univers riche et complexe où tout peut arriver, à nous entraîner dans son imaginaire sans que l’on se pose (trop) de question(s).

Et par sa capacité à composer des ambiances particulières, adaptées à chacun des lieux de son intrigue. King est le roi des petites phrases qui, en quelques mots, plantent un décor, une atmosphère, ou appellent des images si fortes qu’elles s’impriment instantanément dans notre esprit : le souvenir de Roland sur la mort de Cuthbert ; le voyage de Callahan entre les mondes : « Il y a en Amérique des autoroutes secrètes, des autoroutes qui se cachent » puis « Ce qui importe, c’est la vision d’une girouette qui se détache sur un violent coucher de soleil rose, le bruit de ses talons sur une route déserte d’Utah, le souffle du vent dans le désert du Nouveau-Mexique, la vision d’une enfant sautant à la corde près d’une Chevrolet Caprice à la casse, à Fossil, dans l’Oregon ».

Autre facteur qui accroît l’adhérence du lecteur au monde de La Tour Sombre : la cohérence interne du récit. Car il ne suffit pas de relier différents romans entre eux pour constituer un ensemble crédible. Il faut également que l’œuvre en question porte sa propre harmonie. C’était déjà flagrant dans les tomes précédents, ça l’est encore plus ici : King multiplie les gimmicks, les petits rappels d’événements passés ou les tics de langage dans la bouche de ses héros, qui montrent à quel point l’Entre-Deux-Monde s’insinue dans l’esprit de ceux qui n’y sont pas nés – nous y compris : « Eh ouais, c’était lui, Jake, fils d’Elmer. Il n’avait pas oublié le visage de son père, même si parfois il aurait franchement préféré ». Il se crée chez les personnages des associations d’idées automatiques, et on se prend à les deviner avant même de les lire. Sans oublier les « si fait », « j’implore ton pardon », « j’intuite », « de l’autre côté de la clairière », autant de termes aux accents exotiques et vrais qui enracinent un monde, des coutumes, des modes de vie.

Un tournant dans la quête de Roland

Alors, un environnement identique à celui de Magie et Cristal, des références à ses autres œuvres, des rappels internes sur les précédents tomes… King ne tourne-t-il pas un peu en rond ?

Eh bien non. Car Les Loups de la Calla apporte ses propres nouveautés, et relance la quête des pistoléros. Par exemple cette obsession du terme « dix-neuf », sorte de pilier dont personne ne sait d’où il sort, mais qui imprègne les aventures des héros dans ce cinquième tome. Ou bien l’expression « partir vaadash », tellement bien illustrée qu’on se demande si elle n’existe pas vraiment. King trouve toujours des concepts nouveaux qu’il raccroche sans difficulté au récit d’ensemble, sans nous donner l’impression de le faire artificiellement, si bien que jamais on ne se demande « mais pourquoi n’en a-t-il pas parlé avant, si c’est si important ? ». Pourtant il ne fait pas qu’inventer. Il renouvelle, également, ce qui est encore plus délicat. La thématique des portes reste l’un des centres du récit, mais avec quelques différences subtiles par rapport aux précédents opus. Pierre Bordage disait en substance, dans une conférence au salon de Sèvres cette année, qu’il n’y a rien de moins palpitant à raconter qu’un personnage ouvrant une porte. King prouve le contraire et charge la moindre petite ouverture ou fermeture de porte d’un sens ou d’une tension incroyables : « La porte claque derrière eux, beaucoup trop fort, assez fort pour faire trembler les montants. Les jeunes cadres qui commencent à dix-huit milles dollars par an savent fermer les portes d’une certaine manière – avec du respect pour l’argent et le pouvoir – et là, c’est différent. Là, on dirait que c’est un poivrot en colère ou un camé en manque qui vient de faire claquer cette porte. Ou un dingue, bien sûr. Les dingues sont les meilleurs claqueurs de porte, toutes catégories confondues ».

En plus de trouver de nouveaux éléments scénaristiques, King sait aussi faire évoluer ses personnages. Ce n’était pourtant pas évident : ce cinquième tome contient beaucoup plus d’action que dans Magie et Cristal et l’on passe un peu moins de temps dans la tête des personnages. On a d’ailleurs l’impression, au début du roman, que King se détache un peu de Roland, sans raison apparente. Ce léger déséquilibre est corrigé assez vite, lorsque Roland retrouve son rôle de pistolero presque mythique auprès des habitants de la Calla. Et il est complètement effacé lorsque King insiste sur la fatigue de son héros : il nous montre un Roland vieillissant, en proie à l’arthrite et essayant de cacher son handicap. On sent véritablement qu’il va devoir passer la main un jour, et l’on se demande s’il ira au bout de sa quête lorsqu’il dit « On passe le temps comme on peut, mais pour finir, le monde nous reprend tout » ou bien « Ah, par les dieux (…) je déteste cette foutue histoire ». C’est l’occasion pour King de laisser un peu plus de liberté à ses autres personnages, et de complexifier leurs relations, qui sont parfois paradoxales. Si les tomes précédents montraient un Roland prudent et cachottier par rapport à ses camarades, cette fois les secrets sont à double sens. Chacun cherche à protéger ses amis en ne leur disant pas forcément la vérité tout de suite. Et pourtant la notion de ka-tet n’a jamais été aussi prégnante : Terres perdues se terminait sur la formation du ka-tet, et Magie et Cristal ne l’avait pas vraiment mis en scène car il se focalisait sur la jeunesse de Roland. Mais ici, on prend véritablement conscience de sa puissance, c’est lui qui prend la direction des opérations. Il n’y a qu’à voir le nombre de fois où les héros se tiennent par la main, ou se retrouvent dans leurs rêves.

Il semble donc que Les Loups de la Calla marque un tournant dans la quête de la Tour Sombre, tout au moins dans l’organisation des rôles des personnages. Son issue n’a jamais été si proche ni si incertaine.

Le chef d’œuvre continue

En enchaînant ce cinquième tome directement après Magie et Cristal, je craignais de voir mon intérêt pour la série s’émousser un peu, tellement l’intensité du récit de la jeunesse de Roland m’avait impressionné. J’implore ton pardon, Stephen, car encore une fois tu as réussi à me prendre dans tes filets ! Et j’attends avec un plaisir serein la lecture des deux derniers volumes (serein car ils sont déjà dans ma bibliothèque) qui devraient nous amener jusqu’à la Tour, sans oublier cette rose magnifique auprès de laquelle on se sent si bien… Ah petit conseil tout de même : si vous pouvez lire en anglais, préférez la VO ! Car la traduction de ce cinquième tome laisse parfois à désirer. Sans parler d’un sentiment général de fluidité un peu altérée qui n’est peut-être qu’une impression personnelle, il y a quand même de grosses fautes techniques (j’ai vérifié en comparant avec la VO, et même si je suis loin d’être bilingue, il y a des erreurs qui sautent aux yeux) que j’aurais pardonnées pour n’importe quel autre roman. Je veux bien croire que la traductrice a sans doute manqué de temps… mais enfin quoi, on ne fait pas traduire la meilleure série de tout l’univers à la légère !

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