Christian
- le 20/09/2018
Le Marchand de peur
Réalisateur, producteur de films et de séries télé à succès, D.J. MacHale, anglais très californien, a créé sa propre série fantastique en signant, ces cinq dernières années, huit épisodes livresques des aventures de Bobby Pendragon. Bobby, un enfant américain moyen, qui pourrait être un fan de sa propre série télé si elle existait, aime le basket et sa copine Courtney. Il aimerait bien se contenter de flirter et de marquer des paniers dans sa ville américaine moyenne, mais son oncle Press n’est pas du même avis. Il préfère l’entraîner avec lui dans des mondes parallèles. Un monde par roman. Huit romans, huit mondes.
Celui de Denduron est le premier. Bobby y découvre qu’il est un Voyageur, qu’il a la faculté de traverser des portes spatiales et de sauver des mondes en perdition. C’est sa première rencontre avec une « seconde Terre », terme utilisé paradoxalement par l’auteur pour désigner la planète d’origine de Bobby.
Alors pourquoi le marchand de peur (« Le marchand de mort » en anglais) ? Bonne question. Sans doute à cause d’un trafic d’explosifs. Le titre « Denduron » eût été moins vendeur, mais plus mordant et plus incisif.
Au service des asservis
Son oncle Press vient chercher Bobby de toute urgence au moment où il allait embrasser Courtney pour la première fois. Celui-ci va manquer un baiser et sa demi-finale de basket. Puis il échappe à une bande de pseudo-dogues quigs dans le métro et se retrouve avec son oncle au sommet d’une montagne, poursuivi par d’autres quigs. Pendant ce temps, son copain Mark et sa copine Courtney, d’autant plus inquiets de sa disparition que sa famille et son immeuble se sont volatilisés, lisent assidûment le journal qu’il leur envoie, chapitre par chapitre, pour suivre ses aventures.
Et ses aventures valent le détour : dans un Moyen-âge approximatif, des gentils mineurs Milagos sont asservis par de méchants seigneurs Bedoowan et leur chef Kagan. Le tout orchestré par un certain Saint-Dane, alias Mallos, qui traverse les mondes lui aussi, mais avec de funestes desseins. Comment ne pas tromper Courtney avec Loor ? Comment sauver son oncle retenu prisonnier ? Comment sauver les Milagos de l’emprise des Bedoowans ? Et les Bedoowans de l’emprise de Mallos ? C’est Bobby, 14 ans, sans grande expérience amoureuse, sans formation ni de commando, ni de stratège, qui va devoir mener la danse. Bonne chance…
Pas de dragon pour Pendragon
A l’instar de la série Stargate, D.J. MacHale reprend l’idée du franchissement d’une porte pour visiter un monde différent par épisode. Même postulat de téléportation et de mondes parallèles que dans Narnia, écrit 50 ans plus tôt, où les portes (armoires ou lacs dans Narnia) sont les métaphores du saut cérébral dans l’imaginaire. Seule différence notable : ces portes sont gardées par des chimères monstrueuses différentes suivant les mondes et seuls des Voyageurs habilités par le destin ont le droit de s’y promener. Ce qui n’est pas sans rappeler d’autres séries télévisées américaines (Sliders, Code Quantum).
Cette formule est très intéressante pour un romancier en série puisqu’elle permet de reprendre les mêmes personnages tout en explorant des univers différents. Le héros, naïf, curieux et ethnocentré sur la culture adolescente US, est notre médiateur vers des sociétés exotiques, mais pas si éloignées de nous que ça finalement. L’univers est décalé mais pas merveilleux. Le récit ne tombe pas dans les travers magiques des séries à succès. Pas de vampire, pas de sorcier, pas de dragon. Ce qui lui confère du coup une certaine authenticité.
Le tout est écrit dans un style vif, avec le langage des ados et dans un langage parlé, sous-tendu par une logique de dialogue ou de journal. En bon réalisateur, D.J. MacHale impose un rythme rapide, soigne des actions clés toujours très visuelles et ménage un bon suspens en fin de chapitre. L’idée de communiquer via un journal à retardement entre la Terre et le monde de Denduron est efficace sur le plan de la narration. L’histoire ne nous est pas racontée. Elle est racontée aux amis de Bobby, comme s’ils y étaient.
Toute l’intrigue est dirigée vers la résolution des inégalités sociales qui gangrènent le monde de Denduron, mais la disparition des parents de Bobby, la présence de Saint-Dane sur Terre et sur Denduron, les menaces d’anachronisme qui pèsent sur les mondes si certaines règles ne sont pas respectées (type « Patrouille du temps », « Timecop », etc.) constituent autant de problèmes non résolus qui ouvrent sur les numéros suivants de la série.
Pas de grande originalité dans l’univers proposé. Pas de personnages très typés. Pas de grands messages politiques. Ni d’intermèdes didactiques. Mais une histoire menée au pas de course, qui se lit facilement et qui se révèle finalement fraîche et divertissante.