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La Théorie du grain de sable - 1

François Schuiten (Dessinateur), Benoît Peeters (Scénariste)
Aux éditions : 
Date de parution : 24/08/07  -  BD
ISBN : 9782203343238
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Clement   - le 31/10/2017

La Théorie du grain de sable - 1

La parution d’un nouvel opus des Cités Obscures est toujours un petit événement. Cette série, depuis Les Murailles de Samaris en 1983 jusqu’à ce dernier volume aujourd’hui, est l’œuvre de François Schuiten au dessin et de Benoît Peeters au scénario. Bien que chacun des volumes de la série puisse se lire indépendamment, tous concourent à décrire un monde étrange aux relents de steampunk, technologiquement plus avancé que le nôtre, mais dont la culture serait restée celle de la Belle Epoque.

Issu d’une famille d’architecte, François Schuiten a en plus de son travail dans la bande dessinée (notamment avec son frère, Luc) collaboré à de nombreux travaux d’architecture : il a par exemple conçu la station de métro Arts et Métiers, à Paris. Benoît Peeters ne se limite pas non plus à la scénarisation de BDs, puisqu’il a écrit de nombreux essais sur la bande dessinée et est reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de Hergé. Il a également réalisé plusieurs documentaires dont un faux, l’Affaire Desombres qui se déroule dans l’univers des Cités Obscures.

« Les affaires réellement mystérieuses sont rarement spectaculaires »

Brüsel, 21 juillet 784. Retraité solitaire, Constant Abeels répertorie patiemment les pierres qui apparaissent chaque jour dans son appartement, comme par magie, et qui pèsent toutes très exactement 6793 grammes. Non loin de là, le chef cuisinier du célèbre restaurant Chez Maurice a quant à lui commencé à perdre du poids, malgré sa gourmandise, sans pour autant maigrir. Un peu plus loin encore, Madame Antipova, qui vit seule avec ses deux enfants, constate que du sable s’accumule régulièrement dans les placards de son appartement. Tous ses événements étranges ont-il un rapport avec la mort de Gholam Mortiza Khan, chef guerrier d’un pays lointain renversé par un tram ? C’est la question que se pose une jeune femme, venue à Brüsel tout spécialement pour enquêter sur ces phénomènes surnaturels. Un domaine qu’elle connaît bien, puisqu’elle n’est autre que Mary von Rathen, celle que l’on surnommait autrefois « Mary la Penchée »…

L’extraordinaire au quotidien

A plus d’un titre, La Théorie du grain de sable se distingue des précédents albums de la série des Cités Obscures. D’abord de par son format « à l’italienne », c’est-à-dire horizontal, plus large que haut, qui correspond parfaitement à cette histoire, beaucoup moins spectaculaire et plus intimiste que ses prédécesseurs. Mais aussi de par sa narration chorale, qui fait s’entrecroiser toutes sortes de personnages, de petites histoires sans lien apparent au début, et qui vont peu à peu se rejoindre et s’emmêler. Enfin, parce que là où les précédents albums étaient très indépendants et ne faisaient que de vagues allusions les uns aux autres, les auteurs ont choisi de placer cette histoire à Brüsel, ville qui était déjà le cadre de l’album éponyme, et de faire ressurgir Mary von Rathen, l’héroïne de L’Enfant penchée.

Tous ceux qui ne sont pas déjà familiarisés avec la série des Cités Obscures et, de façon plus générale, le travail de Schuiten, pourront être déstabilisés par le trait assez austère de ce dessinateur qui a d’abord suivi des études d’architecture avant de s’orienter vers la BD. Un trait précis, plus à même de rendre des décors extrêmement détaillés – toujours aussi somptueux et pleins d'invention –  que des visages humains dont on peut parfois trouver les expressions un peu figées, manquant de vie. Ce qui ne l’empêche pas de dépeindre des personnages qui ont toujours beaucoup de personnalité.

Le dessin de Schuiten pourra donc, au premier abord, sembler quelque peu austère, d’autant plus qu’après une virée vers la couleur dans La Frontière invisible, les auteurs reviennent ici aux ombres du noir et blanc. Ou plutôt devrions-nous dire : du noir et blanc et blanc. Car la particularité de cet album est aussi l’irruption d’une troisième couleur, un blanc pur qui caractérise les phénomènes surnaturels et porte en quelque sorte le secret de l’histoire, que les personnages semblent ignorer mais qui ne peut manquer de frapper le lecteur. Une manière pour le graphisme de devenir acteur de l’histoire, au-delà de sa fonction purement illustrative.

Ce n’est pas le seul jeu auquel se livrent Schuiten et Peeters dans cet album à tiroirs, puisqu’on y retrouve aussi la maison Autrique, célèbre bâtiment Art Nouveau de Bruxelles, conçue par l’architecte Victor Horta en 1893, et qui a récemment été rénové par les deux auteurs. La véritable maison, lieu central de l’intrigue, accueille d’ailleurs en ce moment une exposition consacrée à La Théorie du grain de sable, avec présentation des planches originales de l’album. Une irruption du réel dans la fiction, et réciproquement : plus qu’un simple clin d’œil, une mise en abyme vertigineuse.

Bien plus que ses prédécesseurs, cet album se lit presque comme un thriller fantastique, au fil de l’enquête surréaliste menée par Mary von Rathen. Au contraire des autres Cités Obscures, où l’on partait d’un événement fantastique pour en raconter les conséquences, on enquête ici sur les conséquences, à la recherche de l’événement déclencheur. Au final, La Théorie du grain de sable apparaît en quelque sorte comme une synthèse des Cités Obscures, un retour aux sources, avec une approche presque psychanalytique. On peut aussi le voir comme une fable écologique : l’histoire d’hommes et de femmes confrontés à des événements anodins, auxquels ils n’accordent qu’une attention distante, et qui vont bientôt s’aggraver au-delà de toute proportion, jusqu’à devenir dangereux et menacer leur vie.

La Théorie du grain de sable est-il un bon « Cités Obscures » ? Pour répondre à cette question, il faudra attendre d’avoir entre les mains le second et dernier tome de cette histoire. La première partie est en tout cas pleine de promesses, avec une intrigue passionnante et des personnages attachants. Mais on ne peut s’empêcher de penser au précédent volume, La Frontière invisible, publié aussi en deux parties, et qui malgré un début passionnant, finissait en eau de boudin. Alors, le grand retour des Cités Obscures ? Réponse à la parution du second volume, en août 2008.

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