Blaze
Quoiqu’il soit décédé en 1985 du « cancer des pseudonymes », Richard Bachman (Running Man, Marche ou Crève) n’en finit pas d’être édité. Après Les Régulateurs en 1996, il nous revient avec un nouveau manuscrit datant de 1973, exhumé d’une bibliothèque du Maine et retravaillé par son ami et alter-ego Stephen King. Assez éloigné des productions habituelles de Bachman, Blaze se veut un hommage aux maîtres du roman noir.
Comment ça marche, exactement, un bébé ?
Clayton Blaisdell Junior, dit « Blaze », est un colosse un peu simplet qui vit de petits braquages au jour le jour. Le cerveau, c’est plutôt son pote Georges, escroc professionnel, qui monte les arnaques et leur permet à tous les deux de vivoter. Mais cette fois, Georges tient l’idée du siècle, le coup qui leur permettra à tous les deux d’empocher les millions et de se ranger définitivement, quelque part au soleil. Le topo, c’est de kidnapper un gosse de riche, un tout petit bébé, et de réclamer une rançon. C’est le coup parfait, merde : un bébé ne cherche pas à échapper à ses ravisseurs et ne peut pas les dénoncer après coup.
Seulement voilà, lorsque Georges meurt brutalement, et que Blaze le simple d’esprit se retrouve seul avec le mouflet, tout se complique. Comment ça marche, un bébé, exactement ? Et c’est sans compter que le FBI et tout ce que le Maine compte de flicaille sont à ses trousses. Blaze pourrait paniquer, mais heureusement, Georges est là pour lui donner de bons conseils. Attendez, vous avez dit Georges ? Celui qui a clamsé ? A moins que…
Une curiosité pour les fans
Avec l’honnêteté intellectuelle qui le caractérise, Stephen King nous avertit dès la préface : Blaze, son soixante-septième roman, est un fonds de tiroir, un manuscrit présenté autrefois en même temps que Salem, et refusé par l’éditeur. L’auteur de Shinning s’était à l’époque inventé un alter-ego en la personne de Richard Bachman pour se livrer à une petite expérience : ses romans se vendaient-ils sur son seul nom ou grâce à leurs qualités intrinsèques ? Aujourd’hui, c’est un peu la réciproque de ce problème que pose Blaze : Stephen King peut-il, sur son seul nom, faire publier un manuscrit autrefois jugé médiocre ? Et bien, oui. D’ailleurs, quel éditeur serait assez fou pour refuser un nouveau Stephen King ? Il aura tout de même fallu retravailler le roman pour en gommer les références temporelles et réécrire les cent premières pages, jugées « trop sentimentales » par l’auteur.
Blaze n’est pas exactement un mauvais roman. King y excelle à créer une ambiance proche des romans noirs, avec d’innombrables malfrats, quelques lieux bien glauques, un argot omniprésent et un narrateur qui évoque le tout avec une certaine indifférence. Le suspens n’est pas en reste avec quelques scènes de poursuite véritablement haletantes. Mais la grande réussite de ce roman, c’est le personnage de Blaze, que l’auteur parvient à rendre très attachant dans sa maladresse et sa volonté de bien faire — pas au point toutefois de nous tirer les larmes espérées dans la préface. Le roman alterne d’ailleurs les chapitres consacrés au kidnapping et ceux qui reviennent sur l’enfance de Blaze, dans une perspective psychanalytique très kingienne, et qui contribue à donner encore plus de profondeur au personnage.
Mais un bon personnage ne suffit pas à faire un bon roman, et malgré tout le travail de réécriture qu’a pu faire King pour cette édition, Blaze reste un roman de jeunesse. On sent poindre les bonnes idées, mais le tout n’est pas assez développé, le roman trop court, et presque frustrant. On se lasse vite des dialogues schizophréniques entre Blaze et Georges « est-il-vraiment-mort-alors-ou-pas ? » Rackley et, une fois le décor planté et les personnages présentés, il n’y a plus vraiment de surprise. En dehors de quelques scènes de poursuite vraiment réussies, on est finalement plus pris par les chapitres qui reviennent sur l’enfance de Blaze plutôt par ceux où il n’en finit pas de se débattre avec biberons et couches-culottes.
Blaze est un roman qui intéressera moins les lecteurs assidus de Jim Thompson, comme le suggère l’éditeur, que les aficionados de King et Bachman. Une curiosité à réserver aux fans.