Libraire d’origine, André-François Ruaud a fait une belle carrière dans l’édition. Directeur du fanzine
Yellow Submarine ainsi que de la maison Les Moutons électriques, il a présidé à la renaissance de
Fiction, la revue littéraire historique des années 1950 à 90, et dirigé les trois derniers numéros de l'anthologie périodique
Étoiles Vives. Il est également l’auteur de nouvelles, de romans et de nombreux essais. Dans la même collection sont parues notamment
Les nombreuses vies de Dracula. Généalogie d’un mythe Au fil de la lecture, on comprend mieux le titre :
Les nombreuses vies de Frankenstein. Et pour cause. Outre une reconstitution scrupuleuse de la vie du docteur Victor Frankenstein , l’auteur explore les existences successives de sa créature, prétendument morte une première fois au pôle Nord, mais que l’on retrouva finalement sous les traits d’un joueur de base ball au 20 ème siècle surnommé… « Jumbo ». De surcroît, c’est bien sûr la vie du roman en lui-même qui nous est contée dans ses différentes versions, selon la température politique, ainsi que le parcours de son auteur, Mary Shelley, mariée à Percy B Shelley, à qui l’on doit le chef d’œuvre
The revolt of Islam, ainsi que de très nombreuses frasques en compagnie de Lord Byron. A ce titre, André-François Ruaud nous gratifie d’une saga haletante sur la fureur de vivre de ce sulfureux trio, qui parcourut l’Europe en quête d’expériences et de rencontres toujours plus extrêmes. Leur fin sera, bien sûr, tragique.
Un véritable essai Afin de comprendre la genèse du récit de Mary, l’auteur remonte brillamment les ramifications du mythe, et nous offre un voyage passionnant dans la pensée et les mouvements animant le 18 ème et le 19 ème siècle, avec pour toile de fond la révolution française, la tentation de l’ésotérisme, les prémisses de la révolution industrielle…Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas dans le sombre Londres victorien qu’André-François Ruaud situe la naissance de la créature de Frankenstein, mais au siècle des lumières, quand David Hume publie son traité sur l’être humain et que le conseil impérial de Vienne officie le mot vampire. Bref, à l’heure ou l’idée de
daemon (qui signifie double) fait son chemin dans la tête des scientifiques, artistes et aristocrates de tout bord, nous suivons un personnage clé- Julien Jean Offroy de
la Mettrie, auteur de
L’Homme machine- qui participe, avec Vaucanson- fabricant d’automates- au concours lancé par Frédéric de Prusse dont l’objectif est de « créer le nouvel Adam ». C’est ce même
La Mettrie que rencontrera plus tard le jeune Victor Frankenstein en Suisse ( !), et qui sera à l’origine de son installation en Bavière, où le jeune chercheur découvre les Illuminati et commence à disséquer les cadavres. De là naîtra sa créature…
Un bel ouvrage
La précision des recherche et le ton un rien didactique nous plongent dans le mythe comme s’il était une réalité historique, si bien qu’ on se prend à vérifier l’existence ou non de bien des personnages et faits évoqués, tant cette période de l’histoire est étonnante, voire incroyable …
Par un style enjoué, érudit, un brin ironique (très 18 ème en fait) Et de nombreuses illustrations, parmi lesquelles les planches anatomiques de Descartes, ce texte dense et truffé de références incite à la relecture du roman de Mary Shelley, évidemment, mais aussi à la découverte d’une bonne trentaine d’autres auteurs dont Lord Byron, Erasme Darwin… Il trouvera, en outre, un écho particulier avec L’automate de Nuremberg par Thomas Day paru récemment, où un tsar Russe a pour esclave un automate, et naturellement La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean.
En somme, une belle façon de se cultiver dans les tristes métros de la rentrée, comme souvent avec les opus de la Bibliothèque rouge.