Eifelheim
Qui connaît Michael Flynn en France ? Statisticien et auteur de SF pennsylvanien né en 1947, il publie des nouvelles de SF depuis 1986 et a signé une dizaine de romans depuis 1990. Eifelheim, le roman, est composé à partir de la novella homonyme parue en 1986 et sélectionnée pour le Prix Hugo de la meilleure Novella en 1987.
Précédé par la réputation de sa couverture pour le moins remarquable, le roman Eifelheim, traduit pour Ailleurs et Demain par Jean-Daniel Brèque, a fait une entrée fracassante dans l’univers visuel des amateurs de science-fiction. L’illustration de couverture, signée Jakcie Paternoster, représente, en effet, ce qui semble être une grappe de créatures bubonneuses aux reflets de mercure, sur un fond bariolé aux couleurs violentes et sanglantes. Quel texte peut inspirer pareille interprétation graphique ?
Au-delà de l’image, l’histoire de deux chercheurs
Eifelheim raconte la découverte conjointe de deux chercheurs : Sharon, cosmologue et Tom, son compagnon, historien mathématicien. Préoccupés tous deux par des énigmes à résoudre dans leurs disciplines respectives, ils en viennent à partager leurs hypothèses, jouant, l’un pour l’autre, le rôle de l’ignorant.
De ce partage inhabituel, voire accidentel, naît une lumière nouvelle permettant à Tom d’imaginer l’incroyable incident qui bouleversa durablement la vie à Eifelheim, un village connu au quatorzième siècle sous le nom d’Oberhochwald.
Un passé plus vivant que le présent
Intercalée dans le récit de l’existence un peu plate des deux chercheurs américains, apparaît, plus saillante, la vie quotidienne du pasteur Dietrich et de ses paroissiens. Ce deuxième récit, inexistant dans la novella de 1986, décrit l’arrivée d’étranges extra-terrestres dans le petit village de la Forêt Noire au milieu du quatorzième siècle.
Abondamment documenté, ce pan du roman parvient, mieux que la trame contemporaine, à rendre palpables, réels et touchants, tous les personnages qui y interviennent.
On rit des infidélités de Frau Müller, des peurs superstitieuses de Theresia Gresch, on s’inquiète du mystérieux passé de Dietrich et, surtout, on s’attache aux Krenks, ces êtres venus d'ailleurs, paradoxalement, les personnages les plus compréhensibles pour un lecteur du vingt-et-unième siècle, avec leur technologie avancée et leur science résolument profane.
De la rencontre entre des mondes différents
Le thème commun entre les deux lignes narratives est la rencontre entre des mondes différents. Plus précisément, il s’agit de la difficulté d’établir des échanges entre interlocuteurs dissemblables.
Bien entendu, compliqué pour des terriens et des extra-terrestres d’acquérir la certitude de se comprendre, même avec un traducteur. Mais d’autres différences, moins radicales sont également mises en scène. Tom est un homme direct, Sharon s’exprime en s’appuyant sur des non-dits ; ils n’ont pas le même sens de l’humour, la même façon de travailler, ni le même univers professionnel ; la vieille opposition entre sciences dures et sciences molles est elle aussi bien présente.
S’opposent également, un monde médiéval dominé par la pensée religieuse et la modernité représentée d’une part par les Krenks dotés de matériel sophistiqué et étrangers aux notions courantes pour les villageois, d’autre part, par les chercheurs et le lecteur, qui ne parviendront jamais à une appréhension parfaite de cette époque à la pensée si différente de ce que nous connaissons.
Le meilleur est avant la fin
Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, Eifelheim est une lecture passionnante, offrant même de temps à autres quelques pépites aux férus d’élitisme : des citations en allemand, en latin et même en français dans le texte, des références à des théories scientifiques, suffisamment explicites pour permettre de suivre le récit et suffisamment ésotériques pour flatter ceux qui ont manipulé durant leurs études des concepts assez pointus.
Hélas, on s’ennuie deux cent pages avant la fin. Le détail des commémorations diverses n’apporte aucun élément intéressant à la connaissance du quotidien des habitants d’Oberhochwald. L’arrivée de la peste noire, le déroulé des décès successifs, la description des différents symptômes de la peste bubonique doivent davantage à la tentation d’érudition qu’au souci de narration utile.
Inutile aussi, paraîtra le dénouement du récit, trop explicité et, par conséquent préjudiciable au plaisir de la découverte par touches successives du récit historique. On aurait préféré une fin plus elliptique ou, pourquoi pas, carrément pessimiste !
Une fois achevée la lecture de ce roman, on regarde différemment la couverture. On y retrouve tout à la fois l’apparence étrange et repoussante des extra-terrestres, les bubons de la peste noire et la perception angoissante des espaces intérieurs, clés de la découverte de Sharon. Sans parvenir à la trouver rafraîchissante, on comprend mieux, on tolère même, l’illustration d’Eifelheim.