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Axiomatique

Greg Egan ( Auteur), Francis Valery (Traducteur), Manchu (Illustrateur de couverture), Sylvie Denis (Traducteur), Francis Lustman (Traducteur), Quarante-Deux (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/09/09  -  Livre
ISBN : 9782253087830
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chloe   - le 31/10/2017

Axiomatique

Greg Egan est un écrivain de science-fiction australien, diplômé en mathématiques et programmeur informatique. Sa nature discrète a permis d’alimenter par le passé une rumeur assez farfelue – reprise sur certaines quatrièmes de couverture – qui aurait voulu qu’il ne soit pas un homme, mais un programme informatique.

Cette réédition en poche de ce recueil de nouvelles, d’abord paru en France en grand format aux éditions du Bélial’, est sortie presque en même temps que le troisième volume de nouvelles du même auteur, Océanique – en grand format également chez Le Bélial’. Le deuxième tome, Radieux, a quant à lui été publié en français en 2007 toujours par les éditions du Bélial’, mais n’est pas encore sorti en format poche.

Des thèmes récurrents pour un écheveau complexe

Comment la réalité d’une seule personne peut-elle modifier le monde extérieur ? Comment donner naissance à un enfant parfait ? Que se passerait-il si l’avenir de l’espèce humaine lui était révélé ? Que feriez-vous si vous aviez la possibilité de choisir vous-mêmes vos croyances et votre caractère ? Comment recréer le tableau d’un artiste dans le monde réel ? Un être virtuel peut-il être aussi vivant qu’un être physique ? Que feriez-vous si vous vous réveilliez chaque jour dans la peau d’une personne différente ?

Greg Egan axe ses nouvelles autour des thématiques récurrentes qui lui sont chères, qui se complètent et renvoient les unes aux autres : l’identité, la réalité, le virtuel, le libre arbitre, les croyances, l’individu, la temporalité… Il s’interroge ainsi autour d’une seule et même question fondamentale : qu’est-ce que l’humain ?

La nouvelle Axiomatique peut être considérée comme la pierre angulaire du recueil, une sorte de mythe fondateur, et constitue donc un bon choix pour le titre de cet ouvrage.

Individu – identité – individualité

L’identité et l’individu sont donc au cœur du propos de Greg Egan. Qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ? Les manipulations génétiques peuvent-elles créer un homme nouveau, ou plutôt donner naissance à des êtres qui n’ont plus rien d’humain, telles les créatures de La Caresse ? Notre personnalité, nos croyances et nos pensées composent notre identité. Imaginez un être virtuel en tous points semblable à un individu particulier, ce qui est le cas dans L’enlèvement. Il a beau être tout à fait virtuel, s’il est capable de la même pensée, des mêmes ressentis, pourquoi serait-il différent d’une vraie personne ? : « Mais la vie n’est qu’imitation […] Les organes de notre corps se reconstruisent constamment à leur image. Une cellule qui se divise meurt, et celles qui prennent sa place ne sont que des imposteurs. Ton corps ne contient plus un seul des atomes avec lesquels tu es née… alors qu’est-ce qui te donne ton identité ? C’est un schéma informationnel, pas quelque chose de physique. Et si un ordinateur se mettait à imiter ton corps – au lieu que ce soit lui qui s’imite lui-même –, la seule vraie différence serait que la machine ferait moins d’erreurs. »

Dans En apprenant à être moi, un ordinateur perfectionné copie intégralement le moi le plus intime des individus, afin de remplacer le cerveau humain, par trop fragile et imparfait, et peut ainsi apporter la quasi-immortalité : mais l’être humain sera-t-il toujours le même une fois cet échange réalisé ? Dans Axiomatique, grâce à des implants éponymes injectés directement dans le cerveau, chacun peut choisir son état d’esprit, ses croyances, ses goûts, ses préférences sexuelles, et ce pour quelques heures, quelques jours ou bien pour le restant de sa vie. En devient-on étranger à soi-même pour autant ?

Plus encore, Greg Egan met en doute l’unité de l’essence d’un individu : « L’illusion, c’est de voir la vie de ton corps comme celle d’une seule et unique personne. L’idée que « tu » es le résultat de la chaîne des événements depuis ta naissance, ce n’est rien d’autre qu’une fiction bien commode. Ça ne donne pas une personne, mais un composite, une mosaïque. ». Dans ce cas, que peut-il bien rester de nous après notre mort, se demandent les protagonistes de La Marche.

Virtuel et réalités multiples

Pour Greg Egan, l’identité d’un individu ne serait donc que virtualité, en mouvement constant. Nous serions tous des acteurs qui jouerions notre propre rôle, comme dans Le point de vue du plafond. L’univers pourrait être modelé selon nos propres désirs, la réalité que nous expérimentons ne serait que celle que nous voudrions bien percevoir, tel L’Assassin infini et sa cible, qui évoluent tous deux dans leur propre réalité, même si celles-ci s’entrecroisent.

L’univers qui nous entoure est-il perçu de la même manière par les autres ? Il apparaît qu’on ne peut jamais connaître réellement l’autre, et nous semblons donc tous isolés dans notre propre perception, à l’exemple du narrateur de Plus près de toi, qui souhaite se mettre à la place de son alter ego : « La question qui m’obsédait plutôt était la suivante : en supposant que les autres personnes existaient, comment appréhendaient-elles le fait d’être ? Pourrais-je jamais vraiment comprendre ce qu’était l’expérience de la conscience pour quelqu’un d’autre, mieux que je ne pouvais le faire dans le cas d’un singe, d’un chat, ou d’un insecte ? Si ce n’était pas le cas, j’étais donc seul. »

Le coffre-fort, qui compte parmi les nouvelles les plus marquantes de ce recueil, met en scène un individu qui, chaque matin, se réveille dans un corps et une identité différents, et parvient néanmoins à construire et conserver sa propre identité, à maintenir une cohésion, grâce à la force de sa conscience. S’il peut ainsi être libérateur, l’esprit devient parfois lui-même son propre geôlier, enfermé dans ses croyances, se cachant à lui-même ce qu’il ne veut pas voir, comme Dans la Morale et le Virologue ou Orbites instables dans la sphère des illusions.

Le libre-arbitre est toujours très relatif. Dans Lumière des événements, des informations provenant du futur sont diffusées dans le passé, scellant ainsi – en apparence – le destin de l’espèce humaine. Le complot ou la manipulation sont des thématiques qui intéressent également l’auteur, dès lors qu’il s’agit d’une altération volontaire de la réalité afin de tromper les autres – Sœurs de sang ou encore Lumière des événements.

Au fond, à travers tous les récits de ce recueil, Greg Egan revient immanquablement à l’interrogation première, celle du sens de la vie : « [...] le trou de ver rend tangibles les vérités les plus fondamentales de l’existence. On ne peut pas voir l’avenir. On ne peut pas changer le passé. L’essence de la vie consiste à courir vers les ténèbres. Et c’est pour ça que je suis ici. Mon corps devient non pas insensible mais détaché, une marionnette qui danse et qui tressaute sur un tapis roulant. »

De main de maître


Voici donc un aperçu des axiomes soulevés par l’auteur, toujours complexes et travaillés. Greg Egan aborde les grands questionnements de l’humanité, et réussit à nous plonger dans une réflexion passionnante. Son inventivité lui permet de développer de très bonnes trouvailles, et il fait preuve d’une vision au long terme qui amène toutes ses nouvelles à être reliées. Cette réédition au format poche de Axiomatique permet donc à ceux qui auraient manqué la sortie de ce recueil aux éditions du Bélial’ de rattraper leur lacune. A se procurer sans tarder.

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