Le Signe de la Lune
Enrique Bonet et José Luis Munera sont tous deux des auteurs espagnols, nés respectivement en 1966 et 1972.
Après des études aux Beaux-Arts de Grenade, José Luis Munuera a débuté sa carrière de dessinateur professionnel suite à sa rencontre avec Joann Sfar au festival d’Angoulême. Il a notamment publié avec lui la série des Potamoks et celle de Merlin. Puis il rencontre Jean-David Morvan, avec qui il perpétue Merlin, et avec qui il donne vie à quelques nouveaux albums de Spirou et Fantasio.
Enrique Bonet est quant à lui dessinateur humoriste pour plusieurs revues, et illustrateur des livres pour enfants.
Le Signe de la Lune est leur premier ouvrage en commun. Ce projet avait déjà été imaginé par Enrique Bonet et son ami Miguel Angel Parra en 1995, et avait abouti à une BD de 24 pages tirée à quelques exemplaires par l’auteur lui-même. Cet album est donc une sorte de prolongement de ce premier scénario conçu à l’époque.
Un monde rural empreint de superstitions
À Aldea, petit village isolé entouré d’une immense forêt, les superstitions côtoient un monde fantastique et se révèlent parfois réalité. Artémis, une jeune fille fascinée par la Lune, cherche toujours une occasion lui permettant de l’observer de plus près, et souhaite faire partager à son petit frère sa passion pour cet astre mort. Artémis est courtisée par Rufo, un jeune chef de bande agressif et batailleur, mais elle refuse ses avances, car elle lui préfère Brindille, un jeune garçon secret qui a la faculté de pouvoir communiquer avec les animaux de la forêt.
Pif, l’homme à tout faire de la guérisseuse, et à l’odorat surdéveloppé, décide un beau jour d’organiser pour les enfants du village une chasse au trésor au cœur de la forêt lors d'une nuit de pleine lune, afin qu’ils l’aident à ramasser des limaces pour la guérisseuse. En échange, il promet comme récompense au meilleur d’entre eux un mystérieux pendentif en forme de croissant de lune qu’il a dérobé à sa maîtresse. Bien qu’un cauchemar récurrent hante ses nuits, Artémis décide de participer avec son petit frère à cette course au trésor. Mais celle-ci va mal tourner…
Ambiance contemplative et finesse des traits
Le Signe de la Lune présente un scénario original et énigmatique, bien que très sombre, appuyé par un travail des images tout en finesse. La jolie couverture de l’album, sobre et intrigante à la fois, attire tout de suite le regard. Le noir et blanc utilisé par les auteurs – mis à part une infime touche de rouge – correspond parfaitement à cette histoire lunaire. Les personnages semblent ainsi constamment baignés dans le clair de lune.
La technique qui a été utilisée est mixte, un mélange de lavis à l’aquarelle, magnifiés par une postproduction sur ordinateur. Pour autant le recours à la PAO, très discret, ne dénature pas les dessins. Le Signe de la Lune alterne dynamisme et contemplation, grâce au choix des plans qui apporte beaucoup de mouvement, mais laisse place à des plages de repos. Le découpage est donc très important ici, de par sa diversité, avec des petites cases qui s’enchaînent pour l’action rapide, de grands espaces avec des pleines pages lors des scènes de réflexion et de contemplation, en alternance avec un découpage intermédiaire pour la narration. Le mouvement se retrouve dans les personnages et le décor, avec par exemple le souffle du vent qui est très bien rendu.
Un conte mélancolique
Comme indiqué dans l’introduction d’Alex Romero, sociologue, Le Signe de la Lune est avant tout un conte, une sorte d’hommage à Grimm, Andersen ainsi qu’à tous les récits qui bercent notre enfance. Cependant, les contes de fées sont parfois très sombres, même s’ils se terminent bien. José Luis Munuera et Enrique Bonet se réfèrent dans cet ouvrage à ce qu’il y a de plus noir dans les contes, la part la plus effrayante de ces récits, le monstre caché sous le lit ou dans le placard de tous les enfants qui ont peur dans le noir avant de s’endormir.
On y retrouve donc les bois touffus, la nature farouche et menaçante, mais accueillante pour qui sait l’apprivoiser, la violence crue et la bestialité de l’âme humaine, sans oublier les peurs et les rituels du monde rural. C’est l’histoire d’un funeste destin, et une invitation à exorciser ses pires cauchemars, même lorsque ceux-ci deviennent réalité : « Et puis, dans certains cas, il arrive que les enfants croient être sortis de la forêt, grandissent comme prévu, mais qu’en réalité ils se trompent car ils sont toujours perdus dans la brume. Quand tout cela arrive, mieux vaut se préparer pour le voyage de sa vie. »
Depuis la nuit des temps, la Lune a toujours exercé une fascination particulière, de nombreux mythes ont été forgés autour d’elle. Élément central de cette BD, elle est tout à la fois séductrice et dangereuse, redoutable et réconfortante. Elle est le reflet de nos craintes et de nos espoirs. La mise en abyme du récit, celui qu’une vieille dame raconte à son chien un jour de grand vent, mais qui s’adresse finalement directement aux lecteurs, clôt l’histoire à la manière du conte de tradition orale transmis par les anciens aux générations suivantes.
Le Signe de la Lune, récit poétique et fantastique, vaut le détour, et se lit comme un conte hivernal au coin du feu. Ceux qui souhaitent quelque chose de léger passeront leur chemin, car cet ouvrage mélancolique, assez féroce même, imprègne les esprits d’une certaine tristesse, mais ne laisse pas indifférent.