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La Plage de verre

Iain Banks ( Auteur), Bernard Sigaud (Traducteur), Stephan Matiniere (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/04/10  -  Livre
ISBN : 9782266203807
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chloe   - le 31/10/2017

La Plage de verre

Iain M. Banks fait depuis longtemps partie des grands noms de la SF. Cet auteur écossais a notamment créé un univers à part entière, développé dans les différents volumes du cycle de la Culture, qui fait figure de modèle du space-opera moderne. Il écrit également des romans mainstream sous le nom de Iain Banks (sans le « M »…).

La Plage de verre est paru en langue originale en 1993, et n’a été édité en français pour la première fois qu’en 2006 par Fleuve Noir. Ce roman ne fait pas partie du cycle de la Culture, ce qui explique peut-être cette traduction tardive.

Affaire de famille

Sharrow est la dernière héritière d’une longue lignée d’aristocrates. Lorsqu’elle était enfant, sa mère a été assassinée sous ses yeux par les Huhsz, un ordre de frères fanatiques qui ont juré de détruire toute la descendance féminine de sa famille. Cette vendetta fait suite au vol, par une de ses ancêtres, de la relique la plus précieuse des frères Huhsz, un des huit Canons Lents. Un permis de tuer leur a été délivré, et à moins que Sharrow ne leur restitue cette arme légendaire, ses jours sont comptés. Elle décide donc de faire appel aux quatre derniers survivants de l’équipage qu’elle dirigeait en temps de guerre. Ces derniers acceptent de l’aider dans sa quête pour retrouver le dernier des Canons Lents, l’arme la plus destructrice qui soit.

Inclassable

La Plage de verre débute comme un bon roman policier, avec une scène de règlement de comptes autour d’un meurtre, celui d’une mère abattue sous les yeux de sa fille, marquée à tout jamais par ce drame. Et se termine aussi comme un polar classique, avec le dénouement d’une intrigue plutôt complexe, qui se construit autour d’une vengeance finale dont le point d’orgue est la découverte du « coupable ». Rien d’étonnant de la part d’un auteur qui utilise le même nom, à une lettre près, lorsqu’il publie ses romans policiers.

Cet ouvrage est pourtant bel et bien science-fictif, et plutôt deux fois qu’une. On y trouve l’idée d’une société régie par des codes un peu abscons dictés par la Cour mondiale, auxquels chacun doit se soumettre - même si chaque province est pratiquement gouvernée en autarcie. Les confréries et ordres religieux et mystiques sont très nombreux et appliquent leurs propres directives. L’univers présenté est dense et complexe, regorgeant  d’individus plus fêlés les uns que les autres, comme « Les Frères tristes du Poids maintenu » ou « les Solipsistes ». Sharrow et ses camarades, tels des Candides déniaisés modernes, vont rencontrer tout au long de leur quête des énergumènes des plus étranges, dans un monde où la seule certitude réside dans son absurdité. Quoi de plus révélateur que le « royaume de Pharpech », dit des « Rois inutiles », resté dans l’obscurantisme : « On ne peut nier que cela fonctionne : il n’y a eu aucun progrès à Pharpech depuis pratiquement huit cent ans. Une vraie prouesse, dans son genre. ». La manière dont est régie cette société du 100e siècle nous fait s’interroger sur la nôtre. Par exemple, en l’an presque 10 000, plus un individu est riche et de bonne famille, moins il porte de noms, et un seul prénom confère une position des plus dominantes...

Bien que ce texte de Iain M. Banks soit dans son ensemble plutôt dramatique, l’auteur utilise un ton très léger, avec beaucoup d’humour, ce qui détonne un peu par rapport à ses autres romans de SF qui composent le cycle de la Culture. Même si dans ces derniers le second degré et l’ironie ne sont pas en reste, ils ne sont pas utilisés de manière aussi directe. On ne s’attendait pas à ce genre de prose et la communauté des solipsistes en constitue un des exemples les plus jubilatoires. En effet, chaque membre de cette corporation croit être Dieu, et pense que les autres adeptes qui l’accompagnent sont des créations de son esprit, de simples « apparences » : « - Nous nous faisons tous appeler Dieu, sauf une apparence, qui est athée. - Ah, dit Sharrow en hochant fermement la tête. Et comment cette personne se fait-elle appeler ? – Moi. ».

Certains passages n’ont rien à envier à Beckett ou Ionesco. Ainsi, dans la ville d’Aïs, en pleine semaine des nudistes, alors que tout le monde se promène dans le plus simple appareil, Sharrow se fait arrêter pour atteinte à la pudeur : « De plus en plus mal à l’aise au milieu des gens nus dans le hall de la gare, Sharrow s’arrêta pour retirer ses vêtements dans une cabine téléphonique et fut promptement appréhendée pour déshabillage en public et donc outrage à la pudeur. »

Des décors et personnages un peu indigestes

Sharrow, Miz, Zefla, Dloan et Cenuij se transportent donc de villes en villes sur le monde de Golter, dans des décors très variés mais aussi très caricaturaux. On a l’impression de se balader dans une « boule à neige », comme si l’écosystème rencontré avait été mis sous cloche, incarnation d’un environnement idéal, représentant l’essence même du paysage stéréotypé : le désert, la forêt, la montagne, la mer… et tous les éléments : neige, glace, eau, terre, feu etc. Ces écosystèmes vont de pair avec le style correspondant : dans le désert du K’lel, on se retrouve en plein western, Laguna City est une métropole flottante faite de bateaux reliés entre eux… Les protagonistes traversent ces différents univers géographiques comme une sorte de chemin initiatique.

Autre particularité de ce texte de Iain M. Banks, le narrateur est de sexe féminin, et les femmes sont à l’honneur, puisque tout tourne autour d’une lignée féminine. Un choix intéressant, puisque l’on sait que les héros de SF sont en général plutôt des hommes, surtout lorsque l’auteur lui-même est de sexe masculin. Mais ce n’est malheureusement pas très réussi : on a l’impression que Banks a cherché à se mettre dans la peau d’une femme, mais sans trop savoir comment y parvenir. Il en fait donc trop, voire transpose une caricature masculine dans le corps d’une caricature féminine. Le résultat est parfois vulgaire, avec des réflexions salaces à la louche, superflues, sinon ridicules, comme par exemple « enfer et pénétration », « A la vérité, je suis plutôt du genre humide, en profondeur. », « ça fait trop longtemps que je suis en manque, dit-elle. Je risque de tomber de ma chaise dès que j’entends le mot « dur ». (…) Et toutes ces putains de colonnes en érection de tous les côtés (…) », etc. Ce qui étonne de la part d’un auteur qui nous avait habitués à la subtilité de sa prose. Peut-être Iain M. Banks a-t-il pensé que doter son héroïne d’une libido aussi délicate que celle d’un gladiateur lui confèrerait plus de prestance ? Toujours est-il que si l’intention est bonne, le résultat est mauvais, et l’on ne parvient pas à croire à ce personnage. Les autres protagonistes ne nous sont pas plus proches, l’empathie n’est pas développée, et une froideur clinique amène à lire sans sourciller les rebondissements les plus tristes, presque avec indifférence.

Un roman de l’absurde science-fictif

La Plage de verre est un texte assez déroutant, dans tous les sens du terme. Au-delà des codes classiques du et des genres, usant de tous les styles, il amène le lecteur en-dehors des sentiers battus. Parfois très drôle, par moments dramatique, présentant une structure très dense mais pas assez soutenue, il semble s’inscrire dans une démarche de l’absurde dans son acception la plus totale, celle de l’existence : « Elle était seule. Tout à fait seule. (…) Un cerveau dans un corps : une collections de cellules dans une collection de cellules, circulant dans une ménagerie peuplée d’autres collections de cellules, animales et végétales, qui parcouraient le même globe mal dégrossi en transportant sur elles ou en elles leur quote-part de sa stupide cargaison de minéraux, d’éléments chimiques et de liquides emprisonnés temporairement dans cette cage de cellules – élément permanent d’un tout, mais absolument et éternellement seul. ». La Plage de verre oscille donc entre tous ces états, sans jamais s’arrêter sur un axe particulier. Dommage que sa lecture en soit un peu trop ardue et que les personnages nous demeurent si étrangers.

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