Chansons pour J.R.R. Tolkien
Martin Harry Greenberg est le plus célèbre anthologiste de fantasy et science-fiction américain du XXe siècle. Il débuta ses publications de recueils de nouvelles de science-fiction comme support de ses cours à l’université du Wisconsin en 1975. Depuis il a publié de nombreuses anthologies dont certaines récompensées, telles Give Me Liberty et Visions of Liberty qui ont gagné le prix Prometheus Special Award en 2005. De grands écrivains ont conclu un partenariat avec lui, notamment Isaac Asimov (127 anthologies), Charles G. Waugh, Jane Yolen ou encore Robert Silverberg. Nous retrouvons certains de ces auteurs dans l’anthologie présentée ici, Chansons pour Tolkien. À l’origine divisée en trois volumes : L’adieu au roi, Sur les berges du temps et L’éveil des belles aux bois, cette anthologie de taille comporte dix-neufs nouvelles écrites par des auteurs aussi célèbres que Terry Pratchett, Robert Silverberg, Stephen Donaldson ou encore Gregory Benford, et a pour but de rendre hommage à l’œuvre de Tolkien.
Des héros, des énigmes, des magiciens, de la fantasy en tout genre
Difficile de donner un résumé d’une anthologie aussi riche que celle-ci. Mes nouvelles préférées sont La Foi (Poul et Karen Anderson), Les Neufs Fils d’Or (Andre Norton) et L’Or ou l’Argent (Emma Bull). Dans la première, des enfants enlevés nourrissons par les gobelins rêvent au jour où ils atteignent la hauteur de la Mesure pour pouvoir partir dans la Verte Campagne. Mais un petit très fûté se rend compte un jour qu’atteindre la Mesure signifie devenir le dîner des gobelins… Dans Les Neufs Fils d’Or, une vieille magicienne trouve par hasard ou par destinée neufs enfants, descendants des anciens rois magiciens. Son rôle est de les former en un groupe soudé qui reconquerra le pays envahi par des homme-démons. Enfin, dans la dernière nouvelle, une jeune sorcière part en quête de sa préceptrice partie à la recherche du prince du pays disparu. Au bout de sa route, de nombreuses énigmes lui permettront d’atteindre avec sagesse ses objectifs et gagner plus que prévu.
Des liens plus ou moins évidents avec Tolkien
Il est une chose certaine dans cette anthologie, c’est que toutes, absolument toutes les nouvelles sont vraiment excellentes. Enfantine et sombre dans La Foi, drôle et acide dans La révolte des fées Dragées de Mike Resnick, décalée et loufoque dans Le Pont de Terry Pratchett, chaque nouvelle a un style et une écriture qui lui est propre, produit de l’imagination de grands auteurs de fantasy. Véritable kaléidoscope de toute la diversité de la fantasy, chaque lecteur trouvera son content et aura ses récits préférés.
Toutefois, si un lecteur non averti commence cette anthologie, il aura du mal à y distinguer une logique. En réalité, ce livre n’aurait pas dû être la fusion totale des trois livres originaux, ou du moins il aurait dû être divisé en trois grandes parties afin de permettre au lecteur de retrouver le lien. En effet, difficile de trouver les similitudes entre une magicienne réunissant neuf enfants pour reformer une lignée perdue (Les Neufs Fils d’Or) et un jeune homme essayant de retrouver son père le long du fleuve du temps dans un monde tubulaire (Sur la route du fleuve de Gregory Benford). À l’origine, trois thèmes étaient abordés dans trois livres distincts : les anciens rois et royaumes, le temps qui passe et l’éveil de jeunes femmes héroïques. Le distinguo entre les trois était pensé et aurait donc dû être conservé.
Tolkien est un grand auteur, un immense écrivain qui a révolutionné et influencé tous les auteurs de fantasy. Des nouvelles de l’anthologie telles que Jusqu'au bout des airs (Karen Haber), Le Roi de l’hiver (Jane Yolen) ou encore Rapte le Juste (Stephen Donaldson) sont de vibrantes et passionnantes références à l’œuvre et à l’imagination de Tolkien. Mais il n’est pas le premier écrivain ayant écrit de la fantasy. Il a lui-même été inspiré par les contes et légendes antiques. Les contes La Saison des Pluies de John Brunner, L’Or ou l’Argent ou encore La Mort et la Dame (Judith Tarr) relèvent plus des vieilles mythologies indiennes et celtes, des contes de farfadets et de sorcières ou encore celui de Brocéliande que de l’œuvre de Tolkien.
Ces trois dernières nouvelles sont liées à des extraits de l’œuvre de Tolkien. Afin de justifier que chacun des textes sélectionnés dans cette anthologie ont effectivement un rapport avec le travail de Tolkien ou découlent de son influence, cette superbe initiative aurait peut-être pu être reproduite pour chaque récit afin de donner toute sa puissance au livre.
De plus, Tolkien n’a jamais traité de la religion aussi clairement que Harry Turtledove le fait dans sa nouvelle La Chèvre, qui fait un parallèle avec l’arrivée des chrétiens dans une Grande Bretagne sous l'influence des cultes pour les Anciens Dieux, ou dans La Saison des Pluies qui traite des anciennes croyances universelles qui persistent dans la période chrétienne du XXe siècle. En effet, si la vie de Tolkien était profondément religieuse, il était un fervent catholique, il dit lui-même que son œuvre et fondamentalement catholique mais qu’il a consciemment retiré toutes les références à la religion, aux cultes ou aux coutumes « car l’élément religieux est absorbé dans l’histoire et dans le symbolisme » (Lettres de Tolkien). Par conséquent, toute nouvelle traitant ouvertement de religion ou de cultes au sein d’un hommage à l’œuvre de Tolkien va peut-être à l'encontre de ce que désirait Tolkien.
En conclusion, l’anthologie de Martin H. Greenberg regroupe de très belles nouvelles écrites par de grands auteurs. Le seul souci de taille est que si une bonne partie des textes présentés ici sont effectivement issus de l’influence de Tolkien ou en sont un hommage, nous pouvons nous questionner sur la place de certaines autres malgré la qualité de leur récit et de leur écriture. Les amoureux de la fantasy ne seront donc pas déçus par cette anthologie mais les fans inconditionnels de Tolkien pourront parfois se sentir spoliés.