Zone Est

Marin Ledun est un jeune auteur prolifique né en 1975. Chercheur en sciences sociales, il commence par publier un essai en 2005: La Démocratie assistée par ordinateur, puis deux romans Au Diable Vauvert. L’année dernière il publiait La Guerre des vanités dans la prestigieuse Série Noire. Hormis ses romans, Marin Ledun est aussi auteur de nouvelles ainsi que d’une pièce radiophonique, Fractale, publiée début mars aux éditons La Tengo. Zone Est, paru en janvier, n’est pas son dernier roman puisque fin mars paraîtra Les Visages écrasés aux éditions du Seuil dans la collection Roman noir.

Des Hommes augmentés.
 
Thomas Zigler vit dans la Zone Est, un territoire immense anciennement appelé région Rhône-Alpes, totalement coupé du monde par un mur gigantesque et contrôlé par des milices puissamment armées. Les habitants de la Zone Est vivent depuis trente cinq ans dans cette enclave contaminée par un virus qui a obligé les populations à transformer leurs corps avec des organes artificiels. Thomas travaille comme voleur de mémoire pour le plus offrant. Mais lors de sa dernière mission il voit dans les souvenirs qu’il vient de subtiliser, une femme nue traversant le mur. Or personne n’a vu d’humain biologique depuis vingt ans dans la Zone Est.

Un récit cyberpunk qui va à cent à l’heure.

Le roman est scindé en trois parties. Après un prologue servant à poser le décor et à présenter les différents protagonistes Marin Ledun nous plonge instantanément dans l’action. Tout d’abord, nous suivons Thomas Zigler lors de sa mission de récupération de souvenirs. A partir de ce moment, une course poursuite démarre, entrecoupée de très brefs moments de répit. L’intrigue se noue rapidement autour des différents personnages. L’immersion est totale et cela dès le début du roman, notamment par l’emploi de la première personne, un procédé qui nous plonge dans la tête de Thomas Zigler, jeune mercenaire travaillant en freelance. On le découvre au cours d’une de ses missions, il doit extraire une partie des souvenirs d’une personne. Peu après il retrouve son appartement saccagé, il prend la fuite et c’est le début d’une traque effrénée. Thomas va rencontrer Sylia, une femme aussi séduisante que combattante, elle va l’accompagner et l’aider. Par la suite ils vont faire la connaissance d’une petite fille venant de l’autre côté du mur, cette frontière de béton qui protège prétendument les habitants extérieurs à la Zone Est. Prenant l’enfant sous leur protection, ils vont découvrir une vérité bien plus noire que ce qu’ils imaginaient au départ. Un gigantesque complot politique et industriel, de la fabrication des puces ID permettant de vivre avec le virus, aux humains habitants au-delà de la Zone Est et parqués comme des bêtes. Thomas va devenir malgré lui le point central d’une machination et d’une guerre qui se prépare.
Marin Ledun maîtrise bien son sujet et nous embarque dans les aventures d’un héros malgré lui dans un univers sombre et qui semble sans espoir.

Une dystopie proche de notre monde.

Mensonges, corruption, assassinats, le monde de Zone Est est un futur noir. Hormis les nanotechnologies et les transformations des corps humains, le monde présenté par l’auteur est très proche des sociétés dans lesquelles nous vivons. De la société sécuritaire décrite dans le roman nous nous en approchons sans en avoir la technologie. Dans Zone Est un des personnages est interrogé  par la police. Au lieu de lui poser de simples questions, les agents scannent l’individu et vérifient ses souvenirs. Impossible de mentir ou d’avoir des secrets,. L’état peut tout savoir et tout obtenir. L’omniprésence des caméras, détecteurs et scanners permet de contrôler les habitants mais aussi de leur proposer un tas de choses. Dans une scène très drôle Thomas est accroché par une publicité dans un centre commercial, la pub s’incruste automatiquement sur votre rétine et la persistance continue suffisamment longtemps pour vous donner envie de consommer le produit en question. Là où nous arrivons doucement à la publicité sur écran vidéo dans les rues et transports en commun, Marin Ledun nous montre ce que serait une société consumériste à l’extrême.

Comme tous les habitants de la Zone Est, Thomas Zigler a été contaminé par le virus et vit depuis avec des prothèses organiques, des détecteurs sensoriels captant tout dans la ville. La majorité des personnes vivant dans la Zone Est sont des humains mais le virus a obligé les chercheurs à trouver une parade consistant à vivre avec le virus. Pour cela on a implanté une puce dans le corps des contaminés, cette puce contrôle en partie le virus mais des greffes d’organes sont nécessaires aux humains afin de mieux vivre avec cette « maladie ». L’auteur ne rentre pas dans les détails concernant le virus, en effet ce qui importe dans la quête de Thomas et de Sylia ce n’est pas ce qu’est le virus mais plutôt ses origines et comment un tel « accident » a pu se produire. Les grands groupes fabricants de puces pourraient facilement passer pour ces grands groupes pharmaceutiques qui génèrent des millions sur le dos des populations les plus pauvres laissées dans l’ignorance et n’ayant plus de choix que d’accepter ce qu’on leur donne. Marin Ledun questionne le choix de se laisser dominer et diriger par certaines personnes en restant plus ou moins conscient de son sort, choisissant ou pas de réagir. Dans le roman Thomas Zigler abandonne sa technologie pour revenir à une vision plus humaine de la réalité, une vision plus naturelle et non parasitée.

Si Zone Est tire un peu en longueur dans sa troisième partie, il possède toutes les qualités d’un roman divertissant, intelligent et qui s’efforce de s’interroger sur des problématiques actuelles au travers d’un cadre SF, le tout mené à train d’enfer. Pour ceux qui ne connaissent pas Marin Ledun, Zone Est est une très bonne surprise et donne envie de découvrir ses autres romans et essais.