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Béhémoth

Gilles Goullet (Traducteur), Peter Watts ( Auteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 15/11/12  -  Livre
ISBN : 9782265096844
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chloe   - le 31/10/2017

Béhémoth

Peter Watts, né en 1958, est un auteur canadien de SF ainsi qu’un scientifique – biologiste marin. Son style d’écriture très personnel explore le psychisme humain et son altération, ainsi que la définition d’intelligence et de conscience. Cet auteur atypique fait partie des noms marquants de ces dernières années en littérature de science-fiction, à découvrir si ce n’est pas déjà fait.

Béhémoth est le troisième et dernier volume de la trilogie des rifteurs (après Starfish et Rifteurs).

Une trêve de courte durée

Béhémoth se situe quelques années après la fin de Rifteurs. Les derniers survivants, dont Patricia Rowan, se sont réfugiés au fond de l’océan Atlantique, dans la station Atlantis. Un accord de paix a été trouvé avec les rifteurs venus des différentes stations. Ils ne se côtoient que lorsque cela s’avère nécessaire, les habitants d’Atlantis restant constamment sous la surveillance des rifteurs. Et cela a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent, même si quelques épisodes de violence et de tentatives de mutinerie ont eu lieu.

Lenie Clarke et Patricia Rowan, les deux porte-parole de chacune des factions, ont appris à se connaître et ont développé un lien amical, bien qu’un peu étrange. Lenie est par ailleurs devenue particulièrement proche d’Alyx, la fille de Patricia.

Mal en point, les habitants de la terre ferme – il en reste encore quelques-uns – meurent à petit feu car ils ont été contaminés par Béhémoth. Au fond de l’océan, les équipes scientifiques de la station Atlantis ont trouvé une solution en inoculant une sorte de vaccin aux rifteurs porteurs de Béhémoth, qui les immunise des effets mortels de la bactérie.

Achille Desjardins, quant à lui, est un des ultimes représentants de l’avant-garde qui se bat contre la propagation de Béhémoth. Il est retranché, tel un Dieu tout-puissant, dans les anciens locaux de son employeur, et apprécie de plus en plus son indépendance.

Mais cet équilibre précaire va bientôt être perturbé. En effet, il semblerait que les survivants de la surface, qui en veulent aux retranchés d’Atlantis, aient retrouvé la trace de la station et aient envoyé une nouvelle forme mutante de Béhémoth contre laquelle les rifteurs ne sont plus immunisés… Lenie Clarke et Ken Lubin décident alors rejoindre le rivage et de collaborer pour essayer de comprendre ce qu’il se passe et y remédier, mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises…

Un personnage dérangeant qui gâche un peu l’ensemble

Dans ce dernier tome de la trilogie, on retrouve les protagonistes principaux, qui vont de nouveau être le moteur des événements : Lenie Clarke et Ken Lubin, qui cherchent à découvrir l’identité de ceux qui leur en veulent et qui devront s’entraider dans leur quête pour sauver ce qu’il reste de leur monde.

Béhémoth, dans la lignée des précédents tomes, nous donne donc à lire les interrogations psychologiques des différents personnages. Que ce soit avec Lenie, qui sait désormais que toute son enfance malheureuse n’est qu’une fiction créée par ses employeurs mais ne parvient pas à s’en détacher, et qui culpabilise sans cesse à cause de son rôle dans la propagation de Béhémoth ; que ce soit Patricia Rowan, qui essaie de réparer les erreurs qu’elle a pu commettre ; Ken Lubin, qui lutte contre sa nature de meurtrier ; ou encore, nouveau personnage qui entre en scène ici, Taka Ouellette, une femme médecin qui parcourt les ruines du monde dans son camion pour tenter de soigner, ou du moins de soulager de leurs dernières souffrances, les survivants de la terre ferme.

Achille Desjardins a pour sa part été affranchi du « Trip Culpabilité » par Alice Jovellanos, mais ce qu’il est devenu grâce à cette nouvelle liberté est bien pire que ce qu’elle imaginait. En effet Spartacus, le « virus » qui combat le trip culpabilité, va plus loin encore dans la modification de la psyché de ses hôtes. Achille a également perdu toute empathie et tous sentiments de remords. Ce qui, chez lui, pose vraiment problème, puisque l’on découvre qu’il est un violeur et assassin en puissance, et que seuls le dégoût de soi et l’empathie envers les autres l’ont empêché de concrétiser ses folies. Achille est donc transformé en monstre, prédateur sexuel et tortionnaire. Si la réflexion ainsi soulevée est intéressante, à savoir quels rôles jouent la morale, la conscience, l’empathie et la culpabilité dans nos décisions et modes de vie, l’exemple extrémiste d’Achille est par trop détaillé dans le roman. Nous aurions peut-être pu comprendre le message sans avoir besoin de lire de nombreuses pages sur les atroces sévices sexuels et physiques qu’il fait subir à ses victimes. Certaines scènes sont vraiment choquantes, et de plus répétées.

Peter Watts lui-même, dans une interview réalisée en 2012 pour ActuSF, s’interroge d’ailleurs sur la manière dont il a présenté le personnage, qui n’était, selon lui, peut-être pas la meilleure : « […] Achille Desjardins, qui a démarré comme un individu profondément moral jusqu’à ce qu’un rétrovirus génétiquement modifié détruise sa conscience, d’un point de vue neurochimique. A la fin de la trilogie il est devenu un monstre, et beaucoup de lecteurs ont vraiment détesté certaines parties du dernier tome à cause de la violence sexuelle qu’il y commet. Je veux bien admettre que je n’ai pas ressenti de grande empathie pour lui à ce moment-là de l’histoire, bien que son état soit entièrement le résultat de la manipulation de quelqu’un d’autre ; mais je n’ai pas non plus ressenti de grande aversion pour lui. Il ne m’apparaissait plus comme assez réel pour avoir besoin d’y prêter attention d’une manière ou d’une autre. Il était juste ce monstre de carton-pâte qui en est arrivé au viol et au meurtre, sans profondeur suffisante pour justifier une vraie haine. Bien sûr, c’était un des points que j’étais en train d’essayer d’atteindre : il y a certains circuits vitaux indispensables à l’état que nous définissons comme « Humanité », et si vous les enlevez ce qu’il en reste ne peut plus être perçu comme Humain. A la fin de l’histoire l’être moral s’est pratiquement transformé en une sorte de carte d’identité sur pattes avec le degré de sécurité le plus élevé du monde, et c’est entièrement cohérent avec les thèmes que j’étais en train d’explorer et les parcours des personnages. Mais bien que je pense que ce personnage soit réussi si vous considérez l’ensemble de son parcours, je pense qu’il échoue à la fin de son histoire parce qu’il est si unidimensionnel. Même si le propos central est que l’Humanité peut être défaite – même si l’état de régression atteint par Desjardins à la fin fait parfaitement sens – il doit y avoir une meilleure manière de le dépeindre qu’en invoquant des théories trop tirées par les cheveux. Je n’étais alors tout simplement pas un assez bon écrivain pour trouver la bonne manière de l’exprimer. [ …]  ». Dommage donc, car ces scènes qui ponctuent le roman sont difficiles à lire et gâchent quelque peu le reste du récit. Seule la décision finale prise par ce personnage relance son intérêt.

Une conclusion en dents de scie


Ce dernier tome qui conclue la trilogie est donc globalement fidèle aux deux précédents et poursuit une plongée dans la psyché et dans la conscience, qu’elle soit humaine, modifiée chimiquement ou totalement virtuelle. Le rythme est cependant moins prenant que les deux premiers volumes, avec notamment quelques longueurs et redites. Le personnage d’Achille Desjardins mis à part, qui rebutera beaucoup de lecteurs, Béhémoth tient tout de même en grande partie ses promesses, sans toutefois surprendre.

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