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L'essence de l'art

Iain Banks ( Auteur), Sonia Quémener (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/01/13  -  Livre
ISBN : 9782253159902
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fredcombo   - le 20/09/2018

L'essence de l'art

Triste nouvelle, Iain M. Banks a définitivement rejoint les étoiles ce mois-ci. Nous venons de perdre un auteur qui, tout en jouissant d'une excellente réputation dans le domaine de la littérature générale, était avant tout un auteur de science-fiction de premier plan avec son cycle de livres consacrés à la Culture, une civilisation incroyablement avancée et dont la zone d'influence englobe la totalité de notre galaxie. Développé au cours des huit romans qui lui sont consacrés, il est parvenu à créer un univers qui a changé le regard que l'on avait porté jusque-là sur le space opera. Peuplé de drones susceptibles, de vaisseaux spatiaux obstinés et d'une population aussi libertaire que dépendante de ses I.A., le cycle de la Culture propose une vue imprenable sur le panorama de la science-fiction moderne. La majeure partie des nouvelles composant L'Essence de l'art peut être rattachée de façon plus ou moins évidente à l'univers de la Culture, que la novella éponyme éclaire magistralement.
 
Perles de Culture.
 
Nous débutons le voyage par La Route des crânes, un hors-d'œuvre à l'arrière-goût intéressant qui, à l'instar du nouveau space opera déjà évoqué, pourrait s'inclure dans la nouvelle heroic fantasy telle que l'ont définie Le Cycle des épées de Fritz Leiber ou La Compagnie noire de Glen Cook. Ensuite, avec Un cadeau de la Culture, cap sur la Communauté Économique de Vreccile, un de ces mondes que la Culture surveille de loin, pour une histoire de chantage dont les conséquences vont avoir des répercussions plus étendues que prévu. C'est un bel exemple de l'hypocrisie des sociétés dites avancées et de leur bras armé... Curieuses jointures, une courte nouvelle à la fois drôle et cruelle nous place face à l'incommunicabilité avec certaines formes de vie pourtant intelligentes et curieuses. Avec Descente, l'une des meilleures nouvelles du recueil, c'est dans un registre émouvant que l'auteur nous entraîne. Nous nous souviendrons longtemps de la longue errance d'un naufragé sur une planète désertique et de son scaphandre, sorte de robot symbiotique avec lequel il entretient une relation fraternelle. Retour à l'humour pour Nettoyage, qui reprend la vieille idée de l'arrivée inattendue sur Terre d'artefacts extraterrestres. Cette parodie qui se déroule dans une Amérique caricaturale, ultralibérale et mégachrétienne, est un tantinet trop outrée pour être vraiment convaincante. À moins que l'on ne l'aborde sous l'angle d'un nonsense à la R. A. Lafferty... La nouvelle suivante, Fragment, reste dans le domaine de la controverse. Il s'agit d'un récit présenté comme un fragment de lettre constitué d'une série d'anecdotes écrites par un vieux hippie qui traite des origines de la foi et des rapports que celle-ci entretien avec les coïncidences qui émaillent l'existence. La fin du volume nous donne Éclat, dans un style éclaté, justement, et un peu déroutant. C'est un texte difficile à interpréter mais qui semble faire le portrait de l'état d'un monde contemporain aux allures pré-apocalyptiques.
 
Les bases de la Culture.
 
La majeure partie du recueil est constituée par une formidable novella, indispensable pour l'approfondissement de cet univers original dans lequel intelligences artificielles et ingénierie génétique sont monnaie courante. Proche par bien des aspects de la civilisation lunaire de John Varley, la Culture est foncièrement libertaire et c'est la justification de ce trait particulier qui constitue l'un des axes du texte. Il s'agit du récit des souvenirs de l'héroïne, Diziet Sma, membre de la section Contact, lors d'une mission sur Terre en 1977, transcrits par un drone qui agrémentera son compte-rendu de notes de bas de page pour le moins caustiques. 
 
Voilà une bonne nouvelle, notre vieille planète est donc surveillée par une société si évoluée que ses membres considèrent que le travail n'est qu'un loisir comme un autre. Sous une apparente superficialité, la Culture fait donc preuve d'une profonde sagesse. Ils ont en effet adopté la démarche la plus intelligente que l'on puisse imaginer : laisser le travail aux robots... Et pourtant, il leur suffit d'observer les Terriens et leurs nombreux préjugés ridicules pour se demander si les innombrables aberrations écologiques et sociales qui gangrènent leur monde ne constitueraient pas une partie importante du terreau permettant l'existence de l'art, des sciences... Car c'est sur ces mondes étrangers, au cœur même de l'absurdité de leurs manières de vivre, que la Culture puise finalement toute sa puissance en se nourrissant de leurs paradoxes. Depuis ce point de vue, L'Essence de l'art illustre à merveille tous les bienfaits que l'on peut tirer de ce qui nous est étranger. La Culture est un vampire qui doit son dynamisme à ces mondes qu'elle pille et va parfois jusqu'à assimiler. Une des grandes questions qui se poseront  cependant, et résonneront avec certaines de nos préoccupations contemporaines, est celle de savoir si, lorsque l'on se trouve face à une situation catastrophique, le pouvoir d'ingérence est un devoir. C'est sur cette interrogation que devront se pencher les lecteurs avec Diziet Sma. Étant donné l'état dans lequel les hommes ont mis la Terre, cela vaut-il la peine de s'intéresser au sort de l'humanité ? Quelle curieuse espèce que la nôtre, qui ne peut que provoquer de l'ambivalence chez des extraterrestres qui l'aiment et la détestent en même temps. La science-fiction n'est jamais aussi grande et indispensable que lorsqu'elle s'interroge sur notre avenir en tant qu'espèce.
 
Ce recueil ne donne qu'une envie : se replonger séance tenante dans les romans du cycle et si les autres nouvelles du recueil justifieraient aisément à elles seules l'acquisition du volume, L'Essence de l'art constitue un appendice indispensable à ce cycle majeur du space opera. Merci, Monsieur Banks, vous allez nous manquer...

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