Été
On sait peu de choses sur Rod Rees à part qu’il a énormément voyagé (Afrique, Moyen-Orient, Russie) et s’est donc retrouvé à vivre à Moscou (où il a conçu des satellites de communication), au Bangladesh (où il a construit des usines pharmaceutiques) ou encore au Qatar. Passionné d’histoire, il s’est posé en Angleterre avec sa femme et ses deux filles pour se consacrer à plein temps à l’écriture. Été est le troisième tome de sa série Le Demi-Monde.
Pas de vacances pour nos héroïnes
L'histoire reprend là où s'était arrêté
Printemps : les forces du Quatrième Règne ont été repoussées, la doge Catherine-Sophie a été assassinée et c'est désormais Ella Thomas, ou plutôt Lilith réincarnée, qui, sous le nom de dame Mimanuelle, règne sur Venise. Et l'une de ses premières actions a été d'établir une alliance avec NoirVille pour mettre définitivement un terme aux agissements d'Heydrich. Mais tout ceci n'est qu'une couverture pour ses vrais projets : le retour des Lilithi et l'avènement d'un nouvel âge, où la race humaine n'a guère d'avenir.
Trixie Dashwood se retrouve à la tête des armées du Coven, obligée pour la seconde fois de combattre les armées du Quatrième Règne.
Quant à Norma Williams, prisonnière de la Cité impériale, elle est dépositaire d'une mission bien dangereuse : en apprendre le plus possible sur l'un des projets secrets du Coven, qui pourrait bien signer la disparition de tous les hommes du Demi-Monde...
On ne change pas une recette qui gagne
Suivant le même fonctionnement que les deux précédents tomes, Été nous permet de découvrir un nouveau quartier du Demi-Monde, le Coven, où le pouvoir est détenu par les femmes. Les hommes en sont réduits à leur seule utilité reproductive, quand ils ne sont tout bonnement pas transformés en nonnes (comprenez eunuques) ou simplement éliminés. On y croise l'impératrice Wu, Mata Hari, Lucrèce Borgia ou Mao Tsé-Toung, qui n'obtient ici qu'une "simple" place de conseiller. De ce côté, le Demi-Monde est toujours une réussite : les diverses doctrines inventées et l'utilisation de figures historiques participent à créer une ambiance particulièrement attrayante.
Mais ce foisonnement d'idées, de lieux et de personnages possède un inconvénient, déjà présent dans
Printemps, et accentué ici : ça part dans tous les sens, et on a parfois l'impression que l'auteur ne sait plus comment s'occuper de toutes les
story lines qu'il met en place depuis
Hiver. Des personnages, pourtant d'importance, passent à la trappe (Burlesque, Odette ou encore Vanka Maykov, qui fait une apparition plus qu'anecdotique), tandis que certaines intrigues se retrouvent à peine survolées (on pense à celles dans le Monde réel). Quand d'autres ne sont tout simplement pas sous-exploitées, comme l'arrivée du frère d'Ella Thomas, Billy, bombe lâchée à la fin du précédent tome et qui, bien que laissant présager de sacrées complications, n'apporte au final pas grand-chose à l'ensemble. Pire, on a même parfois l'impression que des personnages se retrouvent à faire de la figuration dans leur propre histoire, attendant le
twist qui fera progresser l'ensemble...
Malgré cela, la lecture d'Été reste plaisante : écriture dynamique (et traduction toujours aussi impeccable), courts chapitres, multiplication des points de vue évitant tout ennui. Enfin presque, car un essoufflement se fait sentir et l'enthousiasme du début commence tout doucement à s'émousser. Est-ce dû justement à l'éparpillement de l'histoire ? Pas uniquement. On sent que l'auteur a trouvé son rythme de croisière et cherche moins à en mettre plein la vue à son lectorat. Ce qui pouvait agacer précédemment (les nombreux rebondissements parfois téléphonés) brille ici par leur absence. L'humour est également en net recul. Tout ceci participe à l'installation d'une ambiance plus sombre, presque (trop) sérieuse, qui tranche nettement avec les précédents tomes. Ce qui n'est au final pas du tout contradictoire avec les nouveaux enjeux, à l'envergure bien plus dramatique, qui se mettent en place. Mais le changement de ton, même si justifié, déstabilise et peut faire regretter une certaine légèreté qui, malgré son côté parfois agaçant, permettait au Demi-Monde de se démarquer du reste de la production.
Tous ces bémols confirment ici que l'on a bel et bien affaire à un tome de transition, de mise en place même, avant le grand dénouement final. Et ce n'est pas les dernières pages qui nous prouveront le contraire, tant l'action du roman se retrouve presque condensée dans les cent dernières pages, qui apportent leur lot de révélations, de retournements de situation et de suspense qui nous avaient, avouons-le, manqué depuis le début. Rien que pour cela, l'intérêt est relancé et permet de conclure ce troisième tome sur une note plus positive.
L'excitation n'est peut-être plus au rendez-vous mais la lecture reste plaisante et le Demi-Monde réserve toujours quelques surprises bien trouvées. On attend de pied ferme le dernier tome, Automne (prévu pour 2015), pour un dénouement qui s'annonce explosif.