La colonie
Du scénario jusqu’à la couleur, en passant par le dessin, l’ensemble de l’album a été réalisé par Philippe Ogaki, un auteur français de BD d’origine japonaise. Cet architecte a travaillé comme designer sur Arthur et les Minimoys, et s’est dirigé vers la BD pour sortir son premier ouvrage en 2004, une adaptation de l’œuvre de Pierre Bordage : Les Guerriers du silence, avec Algésiras au scénario. Il collabore avec sa compagne, Patricia Lyfoung, sur La Rose écarlate. Il est aussi le dessinateur de Meteors, et l’auteur d’Azur.
Un long voyage.
Voilà 250 ans qu’un million de terriens ont embarqué sur le Victoria III, un vaisseau absolument gigantesque qui sert de ville volante. Ils sont à la recherche d’une planète qui pourra les accueillir, et sur laquelle ils pourront à nouveau fonder une société terrienne comparable à la précédente.
Depuis le départ, trois générations se sont succédé sur le vaisseau, et des tensions commencent à apparaître. La nouvelle génération n’est pas responsable des choix de ses ancêtres, et ils ne sont pas forcément d’accord avec les décisions à prendre. Le monde inaltérable que représente le vaisseau convient parfaitement à bon nombre d’habitants, et quand la possibilité d’une nouvelle planète se présente, l’engouement n’est pas de mise.
La jeune Elise est à la recherche de son futur, et n’aura de cesse de provoquer le destin pour offrir un avenir à tout un peuple.
Un premier tome riche et prometteur.
L’album est construit en trois périodes distinctes. La première, intégralement à bord du vaisseau, est particulièrement riche et intéressante. L’histoire se met progressivement en place, et on découvre des personnages complexes et bien construits. L'univers en vase clos dépeint dans le vaisseau-monde est captivant.
Les périodes suivantes sont bien différentes, et des raccourcis trop nombreux (notamment temporels) altèrent la qualité de l’ensemble. La colonisation de la planète est bien menée, et on y retrouve des éléments qui ne seront pas sans rappeler le film Avatar. Le développement des personnages est à l’image de celui de l’intrigue : trop rapide, avec trop de raccourcis. On se retrouve alors avec des personnages moins intéressants que dans la partie se passant exclusivement dans le vaisseau, avec une vision hautement manichéenne, et des stéréotypes trop nombreux. On relève certaines incohérences trop grossières pour passer à côté, comme le fait que les autochtones (qui sont à des millions d’années lumières de la Terre) parlent eux aussi français, ou ont des coutumes très similaires aux nôtres.
Le développement de l’intrigue se fait trop rapidement : on n’aurait pas été surpris de la voir se dérouler sur trois ou quatre tomes, alors un seul... On ne s’embarrasse pas de longueurs inutiles, certes, mais les sauts temporels de plusieurs mois sans indication d’aucune sorte ont un petit côté agaçant. D’autant plus que le monde ne s’est sans doute pas arrêté de vivre pendant ce laps de temps, alors qu’on le retrouve comme si de rien n’était... On a l'impression que l'auteur n’a pas pris le temps nécessaire pour poser l’intrigue, développer la psychologie des personnages, et surtout développer les complots. Chaque élément apparait un peu trop subitement, ce qui est déstabilisant. La rapidité de l’ensemble ne rend pas honneur au scénario, qui semble alors bien trop simpliste, et déjà vu pour des lecteurs de science-fiction.
Mais au-delà de ce défaut de rythme, saluons le message qu’il y a derrière tout cela. Car oui, Ogaki nous dépeint une civilisation peu louable, imbue d’elle-même, fermée à l’autre, avec la peur d'évoluer. Autant d’éléments qui sont clairs pour un lecteur adulte, et qui on l'espère le seront tout autant pour les lecteurs plus jeunes vers qui l’album semble se destiner. Cela reste assez manichéen, mais d’un certain côté, quelque peu représentatif de notre Histoire à certains moments.
Du côté du dessin, le talent d’Ogaki est à signaler, car il s’illustre aussi bien dans la représentation du vaisseau et de ses constituants, que dans celle des paysages luxuriants de la nouvelle planète. Il n’est pas avare de détails, et certaines planches valent franchement le coup d’œil. On regrette presque le format (proche de celui du comics), tant de plus grandes planches auraient été appréciables pour profiter pleinement des dessins. Le travail sur les personnages est moins convaincant, notamment au niveau des visages, avec un style emprunté volontiers au manga. Les gros plans sont intéressants, mais dès qu’on s’éloigne et que l’on regarde les personnages de second plan, le détail n’y est pas. Cela ne gêne en rien l’immersion du lecteur, mais à la suite d’une magnifique planche dépeignant le vaisseau, difficile de ne pas le remarquer. La mise en couleur quant à elle est de qualité et contribue à l'immersion du lecteur dans cet univers, que ce soit dans l'espace ou sur une nouvelle planète verdoyante.
Au final, malgré quelques maladresses sur les interactions entre les personnages et sur la gestion temporelle, cet album (premier tome d’une série) appelle la lecture de la suite. Le thème de la colonisation, cher à la SF, est bien amené. L’ensemble est bien illustré, avec de superbes décors. Terra prime est une allégorie assez simpliste plutôt destinée aux jeunes lecteurs, qui y trouveront leur compte d'aventures.