Les arbres, en hiver
Patrick Eris est auteur de plus de trente romans et plus encore de nouvelles, dont certaines sont rassemblées dans le recueil Docteur Jeep. Nommé deux fois pour le prix Masterton et une fois au prix de Lyon noir de Neuilly Plaisance, il a récemment connu un bon succès critique avec Ceux qui grattent la terre, aux éditions du Riez. Les arbres, en hiver fait partie de la collection de polars régionaux des Éditions Wartberg avec une intrigue située dans les montagnes du Jura.
Dans le calme de l’hiver jurassien, deux familles sont brutalement assassinées et mises en scène autour d’une table. Alors qu’un jeu télévisé monopolise l’attention de tout le pays, les trois gendarmes du coin tentent de résoudre l’affaire eux-mêmes, malgré le manque de moyens et d’expérience dans ce genre d’affaires…
Enquête et psychologie
Les arbres, en hiver est avant tout un polar. Dans le cadre des montagnes jurassiennes, un tueur en série d’un genre nouveau émerge : il s’en prend à des familles entières, qu’il assassine sauvagement avant de placer autour de la table pour un dîner funèbre.
Alors que les « autorités compétentes » n’apportent aucune aide à la gendarmerie du coin, l’adjudant décide d’enquêter quand même. On retrouve alors les marqueurs du récit d’enquête : indices, témoins, journalistes… Mais, contrairement aux habituels inspecteurs en charge, c’est une petite équipe de gendarmes, non équipés ni expérimentés pour traiter ce genre d’affaires, qui sont livrés à eux-mêmes. Qui doit-on appeler pour embarquer les dépouilles des victimes ? se demandent-ils un jour. En mettant le lecteur face à ces questions basiques souvent occultées dans ce genre de récit où les enquêteurs sont expérimentés, on se retrouve à partager ce sentiment d’impuissance de l’adjudant, mais aussi son envie de continuer malgré tout.
Au-delà de l’enquête elle-même, deux éléments montrent une certaine originalité du récit. Tout d’abord, il s’agrémente d’un élément fantastique avec la forêt du Jura, personnifiée comme une entité avec laquelle le personnage principal est lié depuis son enfance. Comme une métaphore de l’attraction que peut exercer le paysage où l’on grandit, la forêt devient une présence, tantôt réconfortante, tantôt menaçante, qui suit l’enquêteur tout au long de l’histoire et fait écho à ses sentiments, son vécu et sa psychologie.
Le deuxième élément intéressant de cette histoire se révèle avec la psychologie du personnage principal. Le récit, narré à la première personne du singulier, nous plonge dans l’esprit de cet adjudant de gendarmerie à la fois ordinaire et à l’écart de la société, comme un être qui n’a jamais vraiment su vivre dans le monde des êtres humains.
C’est dans son obsession que nous glissons peu à peu au fil du récit. L’obsession de cette affaire, de ce tueur, de cette enquête qui s’insinue en lui peu à peu et nous entraîne page après page, au point que nous aussi, lecteurs, souhaitons le voir résoudre cette affaire à tout prix, malgré les obstacles et les difficultés.
Le cadre social
Dans un monde de légère anticipation, toute la France est obnubilée par un jeu de télé-réalité pendant que s’enlise la violence dans les villes et le manque de moyens dans les campagnes. Si le cadre social n’est pas l’objet principal du roman, c’est un avenir proche bien sombre que dépeint Patrick Eris, du point de vue d’une campagne oubliée et hypnotisée par la télévision. À travers le regard de cet enquêteur atypique, on rencontre témoins indifférents et misère sociale, classe moyenne en perdition et services publics en déliquescence.
Ce ne sont que des indices, déposés ici et là à travers le point de vue de l’enquêteur qui se sent extérieur à cette société des hommes. Du matériel public rafistolé aux problèmes de chômage et de violence qui se répandent des villes jusqu’aux montagnes du Jura, Patrick Eris dépeint un avenir sombre, tristement crédible parfois, qui donne corps au sentiment d’impuissance et d’isolement de notre personnage principal.
Sous-titré Meurtres en série dans le Jura, Les arbres, en hiver nous plonge dans un décor magnifique qui laisse deviner les paysages jurassiens dont l’auteur s’est inspiré. Le tout teinté d’une ambiance noire, haletante, obsessionnelle, pour une enquête prenante à travers une société en déclin et un lien quasi mystique avec une nature salvatrice…