Les monades urbaines
Célèbre auteur de science-fiction américain, Robert Silverberg a publié de nombreux textes : nouvelles, essais et romans. Son œuvre a été récompensée par quatre Hugo Award et cinq Nebula Award. Les Monades urbaines comporte sept nouvelles publiées dans le magazine Galaxies avant d’être rassemblées et publiées sous forme de roman en 1971. Les Monades urbaines a été publié pour la première fois en français dans la collection « Ailleurs et Demain » de Robert Laffont en 1974.
En 2381, l’humanité a défié les peurs de leurs ancêtres et montré qu’il était possible pour la population de croître sur Terre. Les 75 milliards d’êtres humains vivent dans d’immenses tours, les Monades, où il est permis de tout faire et où la fertilité s’érige au rang de dogme religieux. Dans cette société en apparence heureuse et comblée, plusieurs personnages en errance nous montrent les dessous d’un monde où individualité et imagination sont considérées comme dangereux…
Un nouvel angle à la surpopulation
Avec l’explosion démographique du XXe siècle, le thème de la surpopulation devient un sujet fétiche de la science-fiction dans les années 1970. La plupart des ouvrages la traitent comme un problème démographique, à régler parfois de manière radicale, comme l’eugénisme par exemple (Tous à Zanzibar, de John Brunner).
Mais Silverberg aborde le sujet à contre-pied : non seulement la population terrienne a atteint 75 milliards d’individus, sans guerre, famine ou maladies, mais en plus, la fertilité a été érigée au rang de dogme religieux. En effet, les jeunes couples s’unissent dès la puberté, et leur but est d’avoir autant d’enfants que possible afin de prouver leur utilité et leur intégration sociale. Cette société s’enorgueillit même d’avoir défié la nature et trouvé le moyen de continuer à croître, vivant dans d’immenses tours verticales tandis que la majorité des terres sont utilisées pour l’agriculture.
Bien sûr, on y retrouve des sujets propres à la question de la surpopulation : la promiscuité entre les individus, le manque de vie privée, le conformisme extrême de la société et l’élimination des individus rebelles (les « anomos ») afin de préserver la paix dans les Monades.
Mais, même si l’utopie des monades surpeuplées tourne à la dystopie, à mesure que nous suivons les aventures d’individus mal ajustés comme de piliers de la société, l’idée de proposer un monde surpeuplé qui fonctionne est intéressante pour soulever les peurs liées à la surpopulation d’une autre manière.
Il flotte comme un air de mai 68…
Dans Les Monades urbaines, on retrouve des éléments chers à la culture post-68 : la liberté de mœurs, l’accès libre aux psychotropes, les concerts de musique expérimentale…
Mais dans le roman, ces éléments sont pervertis, présentés comme une nouvelle norme, une manière d’éradiquer l’expression de l’individu et ses libertés. Traités comme des enfants à qui aucune pulsion ne doit être bridée, les habitants de la monade 116 vivent, ironiquement, dans une sorte de dictature où la mise à disposition de leur espace privé et de leur corps devient une obligation.
Le monde intérieur
Le titre original du livre pourrait se traduire par « le monde intérieur ». À travers les sept histoires, qui se suivent de manière logique et liée, nous découvrons le monde intérieur de cette monade 116, une tour aux règles précises, le seul monde que ses habitants ne connaîtront jamais.
L’emploi du terme philosophique de « monade » est très intéressant, car ces tours vivent en quasi-autarcie, à part pour la nourriture, qui vient des cultures environnantes. Les habitants naissent, se reproduisent et meurent dans leur monade, sans jamais connaître autre chose.
Ce monde intérieur pourrait aussi être une métaphore des limites de notre pensée, de notre vision du monde, forgée par la société dans laquelle on vit. En tant que lecteurs, nous ne pouvons que deviner quel monde existe en dehors de cette société verticale, à travers le regard d’un visiteur venu d’une colonie de Vénus ou d’une paysanne des champs qui nourrissent ces tours urbaines.
Avec Les Monades urbaines, vous découvrirez un classique de la science-fiction des années 1970, teinté des préoccupations de l’époque entre la surpopulation et le courant de pensée post-68. Le thème est traité avec l’originalité de l’utopie qui se craquelle, et nombre des questions soulevées par Robert Silverberg sont, plus que jamais, d’actualité.