Axiomatique

Redécouvrons l'excellent recueil de SF de Greg Egan, Axiomatique

Greg Egan nouvelliste

Axiomatique regroupe des nouvelles de l’auteur australien Greg Egan, plusieurs fois primé et à qui on doit des romans étonnants comme Isolation (Denoël, 2000), Zendegi (Le Bélial, 2012), ou encore Diaspora (Le Bélial, 2019), ancré dans la Hard Science mais abordant aussi des questions virant vers la métaphysique. Ces histoires d’Axiomatique, réédité l’année dernière, le montrent.

Des histoires ancrées dans le genre

On commence avec L’assassin infini où un tueur cherche à pénétrer dans un vortex d’univers parallèles pour tuer des droguées qui voyagent entre ces univers. Or une femme l’interpelle, comme à chaque fois. Voici un texte étrange et répétitif, qui aurait pu être écrit par un auteur de la New wave des années 70. Le Coffre-fort nous montre un homme se réveille chaque jour dans le corps d’un autre. Il finit par découvrir qu’il est en fait un gamin martyrisé par son père. Bien construit mais anecdotique. La Marche est d’un tout autre type : voilà un tueur qui conduit sa victime à travers bois et échange avec elle, sauf que les rôles s’inversent grâce à des implants : qui est la victime et qui est le tueur ? Vertigineux. Citons également Le point de vue du plafond où le patron d’une boîte de cinéma spécialisé dans la création d’œuvres virtuelles se fait tirer dessus et vit une expérience de décorporation : il se voit du plafond, y compris après s’être réveillé. Une thématique bien traitée qu’on retrouve chez d’autres auteurs.

La singularité d’Egan

On a aussi des textes plus percutants, plus personnels. Il en va ainsi de L’enlèvement où un homme reçoit des menaces concernant la copie virtuelle de sa femme et accepte de payer une rançon pour que rien ne lui arrive car la copie pour lui est aussi réelle que sa femme. Vertigineux. Egan adore ce thème des copies virtuelles qu’il traitera avec La cité des permutants, récemment réédité par Le Bélial. Dans Vers les ténèbres, des trous de vers apparaissent et disparaissent et des hommes en tombent prisonniers. On y envoie des « pompiers » pour essayer de les sauver, avec des résultats étranges. Avec Axiomatique, l’auteur pose des questions philosophiques : si les états de conscience, les choix moraux ne sont que des axiomes que l'on peut altérer avec des implants cérébraux qui peuvent changer l’esprit humain pour lui donner le mépris de la vie humaine nécessaire à un homicide, que vaut vraiment l'humanité ? De quoi réviser pour le bac philo !

Continuons avec En apprenant à être moi où grâce au dispositif « Ndoli », un cristal de réseaux neuraux peut imiter parfaitement le cerveau. Du coup, quand ce dernier vient à se dégrader avec l'âge, les êtres humains s’en débarrassent et le remplacent par un cristal, dont la durée de vie (ou d’utilisation) est bien plus longue (c’est un euphémisme) ... Egan pose en filigrane une terrible question : Ces humains dotés de cristaux neuraux sont-ils encore humains ? Et quelle est la différence avec « avant » ?

Gênes en folie

Notre auteur se passionne aussi pour les manipulations génétiques. Dans La caresse, une chimère, mi léopard mi humaine, est découverte dans la maison d’une scientifique assassinée. Il s’avère qu’un milliardaire également amateur d’expérience esthétique a commandité sa création en s’inspirant d’une toile du XIXe siècle. Eugene nous présente des parents qui cherchent à avoir un enfant génétiquement modifié, susceptible selon un scientifique de sauver l’espèce humaine. Celui-ci, de quelque part dans le futur, les contacte et change le cours du temps. Car il ne veut pas naître et préfère le néant.

Egan peint aussi des dérives possibles. Sœurs de sang narre l’histoire de deux jumelles, l’une en Amérique et l’autre en Afrique. Toutes les deux tombent malade du même virus. Sans les prévenir, l’industrie du médicament se sert de leur gémellité pour tester un médicament. L’une vit et l’autre meurt. Tragique aussi est La Morale et le virologue : un biologiste chrétien fondamentaliste entend « améliorer » l'œuvre du Tout Puissant, créateur du sida, et punir l’humanité en produisant une nouvelle souche virale plus performante, religieusement parlant, qui parvient à tuer tous les impies : homosexuels, adultères. Mais voilà que les femmes qui allaitent leurs bébés sont aussi concernées...

Egan et l’humain

Avec Zendegi, Egan avait dévoilé une capacité à peindre des sentiments sans sombrer dans le sentimentalisme. On se rend compte que c’était déjà présent avec Un Amour approprié où, pour sauver son compagnon, en vertu du contrat d’assurance signé, une femme accepte de porter son cerveau dans son utérus pendant deux ans, le temps que son clone arrive à maturation : c’est ce qu’il y a de moins cher. Mais du coup leur relation évolue, s’enrichit…. C’est historiquement la première nouvelle d’Egan traduite en français et déjà, on peut le dire, une réussite. L’enlèvement, dont on a déjà parlé, relève aussi de ce sillon qu’Egan creuse en secret. Citons aussi Un p’tit mignon où un homme, qui veut être père, abandonné par sa compagne qui ne veut pas d’enfant, se voit livré sa descendance en kit…

Terminons avec Plus près de toi : Grâce au dispositif « Ndoli » entrevu dans En apprenant à être moi, il devient possible pour un couple d’échanger corps et sexes, d’avoir le même sexe que son partenaire et inversement. De devenir l'autre en somme, de tout connaître de lui, ou d'elle, à la perfection. Mais une fois qu'il n'y a plus de mystère, quel échange reste encore possible ? Et qu'y gagne-t-on au final ?

Greg Egan, auteur riche aux thématiques foisonnantes, est dans Axiomatique à son meilleur. Si vous ne le connaissez pas, ce volume est pour vous !

Sylvain Bonnet