A l'occasion de la parution de l’anthologie Dimension Uchronie 1, dirigée par Bertrand Campeis, aux éditions Rivière Blanche, Sara Doke revient sur l'écriture de sa nouvelle, Léopard cha-cha.
Bertrand Campeis : Bonjour, Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu'écrivaine ?
Sara Doke : Après un master de journalisme et communication (puis un DES en gestion culturelle), je me suis d’abord lancée dans la traduction de nouvelles de science-fiction, de fantastique et de fantasy ainsi que dans la rédaction d’articles, d’interview et de chroniques pour différentes revues de l’Imaginaire. J’ai eu la chance de publier ma première nouvelle, Miroir de mon âme dans une anthologie prestigieuse chez J’ai Lu Millénaire en 2000, Cosmic Erotica, en compagnie de 16 autres autrices. Depuis, j’alterne traduction, essais, anthologies et écriture. Après Techno Faerie, sortie en 2016 aux Moutons électriques, mon deuxième ouvrage personnel, L’Autre moitié du ciel vient d’être édité chez Mü éditions.
Bertrand Campeis : Comment avez-vous découvert l'uchronie ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?
Sara Doke : J’ai découvert l’Uchronie avec Norman Spinrad et Rêve de fer qui a été un choc littéraire et politique, d’autant qu’à une époque, on trouvait ce livre, sans couverture ni préface dans des officines néo-nazies, ce qui est à la fois terrifiant et merveilleusement drôle venant d’un auteur juif newyorkais.
Bertrand Campeis : Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l'aventure Dimension Uchronie ?
Sara Doke : Bertrand Campeis a lancé un appel à texte et il se trouvait que j’avais une nouvelle uchronique dans mes cartons, je la lui ai donc proposée immédiatement (je dois être une des premières personnes à avoir répondu à cet appel) et il l’a acceptée. C’est aussi simple que ça.
Bertrand Campeis : Comment s'est passé l'écriture de votre nouvelle ?
Sara Doke : Une revue belge aujourd’hui disparue, 24h01 m’a demandé une uchronie belge à partir d’un événement se passant en avril. J’ai choisi de parler de l’indépendance du Congo-Zaïre. Cette nouvelle a été publiée, accompagnée de références à l’histoire officielle et j’en ai récupéré les droits assez rapidement.
Bertrand Campeis : Pourriez-vous expliciter votre uchronie en nous parlant de son Point de Divergence ?
Sara Doke : Mon texte se déroule à l’Exposition universelle 1958, à Bruxelles, lors de l’inauguration. Patrice Lumumba et Joseph Mobutu y étaient présents, le premier en tant qu’invité, accompagné d’autres dignitaires du Congo belge, le second en tant qu’étudiant à l’Université libre de Bruxelles. On y présentait un véritable zoo humain où étaient offerts à la vue du public des Africains « dans leur milieu naturel », les visiteurs allaient jusqu’à leur jeter des cacahouètes ou des bananes. Patrice Lumumba a été profondément choqué par cela, comme ses compagnons. Il existe des lettres à sa femme où il raconte sa stupeur et sa découverte horrifiée de la manière dont son pays était représenté.
Alors que l’indépendance de cette colonie belge date de 1960, j’ai choisi de l’organiser dès 1958, dans le cadre même de l’exposition universelle, au moment de l’inauguration, en permettant à des personnages historiques comme Lumumba, Mobutu ou Joseph Kasa-Vubu et Moïse Tshombe d’organiser un coup de force en enlevant le jeune roi Baudouin, deux de ses ministres, des représentants de différents pays et quelques industriels belges avec l’aide des Anyotos, les fameux hommes léopards.
Le titre de la nouvelle est un clin d’œil à une chanson très populaire à cette époque au Congo, Indépendance chacha.
J’ai travaillé essentiellement avec des lettres de Patrice Lumumba à sa femme ainsi que ses discours au moment de l’indépendance du Zaïre. L’essentiel du texte reprend ses propres mots.
Bertrand Campeis : Y-a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l'écrivant ?
Sara Doke : Je souhaitais mettre au jour la politique coloniale belge de cette époque, le racisme monstrueux des nombreux zoos humains qui ont existé dans de nombreux pays européens, dénoncer donc des décennies d’exactions coloniales, en utilisant l’humour.
Bertrand Campeis : Travaillez-vous sur d'autres projets uchroniques ou souhaitez-vous en faire à nouveau par la suite ?
Sara Doke : Je travaille sur une quasi-uchronie steampunk florentine pour les éditions Leha, La Complainte de Foranza, et je pense que je rejouerai le jeu du point de divergence, plus sous forme de nouvelles que de roman.
Bertrand Campeis : Les mots de la fin vous appartiennent, c'est à vous !
Sara Doke : Travailler avec Bertrand Campeis et se retrouver sous une aussi belle couverture fut un grand plaisir qui donne envie de recommencer.