Dimanche 17 octobre 2021 a eu lieu aux Imaginales une table ronde intitulée "Accueillir, écouter, protéger… Pour en finir avec le sexisme dans l’édition !" avec Betty Piccioli, Silène Edgar, Lionel Davoust, Jérôme Vincent et en modératrice Sylvie Miller. Dans ce cadre, Silène Edgar a fait deux déclarations qu'elle nous a proposé de reproduire ici et ce que l'on a accepté. Vous le trouverez ci-dessous. La table ronde sera très vite en ligne en audio. Elle l'est déjà en vidéo. Par ailleurs, le site Fantastiqueer a mis en ligne les importants discours lors de la remise des prix de Léo Henry, Betty Piccioli et Adrien Tomas. On vous encourage à aller les lire.
"Ici, aux Imaginales, je me suis trouvée dans une grande difficulté : j’étais dans l’organisation du Speed dating, avec ce nom très mauvais, en définitive, nous l’avons vu. Et depuis des années, ma bataille, et je n’étais pas seule dans cette bataille, c’était que Stéphane Marsan ne soit plus aux entretiens car il n’avait pas un comportement correct. Le directeur du festival, Stéphane Wieser, a refusé de nous écouter quand nous lui disions qu’il ne fallait plus l’inviter aux entretiens auteurs-éditeurs. Ce faisant, il n’a pas protégé les jeunes femmes, mais il ne nous a pas protégées non plus.
Et je constate que, au sein de l’entreprise éditoriale comme ici, quand j’ai eu besoin d’être protégée, je l’ai été par des femmes, je l’ai été par mes éditrices, mes collègues autrices, mes collègues modératrices, mes directrices, je l’ai été par Stéphanie Nicot, par des femmes, toujours des femmes.
Les hommes qui m’ont apporté leur soutien, leur aide, et ils existent heureusement <rires>, l’ont malgré tout fait à posteriori, parce qu’ils ne savaient pas, parce qu’ils ne voyaient pas, parce que je ne les prévenais pas. Parce qu’on s’occupait de ça entre nous, parce qu’on se disait entre nous, « Fais attention, parle de tes vergetures, tu auras la paix. » Eh bien, je l’ai fait et ça a marché. Malheureusement, après, il m’a appelé Maman… <rires>
Mais les femmes voyaient, elles. Elles savaient et elles prévenaient.
Je n’en veux pas aux hommes qui sont ignorants ou aveugles, j’en veux à ceux qui refusent d’écouter, ceux qui minimisent, ceux qui me disent : « Je préfère considérer les bons côtés. »
L’autre parole que j’ai entendue beaucoup, c’est « Il n’y a pas de condamnation pénale. » Donc, ce n’est pas assez grave, en fait ? Restons immobiles ?
Mais écoutez-nous !
Quand on dit qu’un homme n’a pas un comportement respectueux, quand on se sent mal, quand on souffre de sa présence. Et quand on est plusieurs dans ce cas-là, cela constitue un faisceau de témoignages suffisant, non ? Il est inacceptable que dans un milieu professionnel un homme se comporte comme cela avec les femmes. Il n’y a pas besoin d’aller devant un tribunal pour se le dire !
Je pense que ce qui est grave, c’est qu’on soit obligé d’en référer à la justice pour que des hommes arrêtent de nous faire des allusions sexuelles, de nous tripoter. C’est un recours qui est essentiel quand il y a des abus, mais de base, déjà, dans le monde professionnel de l’édition, il est nécessaire qu’on n’accepte pas ça comme « normal », sans qu’on ait besoin d’un avis d’un juge pour l’affirmer. Tout le monde sait que ce n’est pas normal. Il faut arrêter de faire ça.
Dans la faiblesse générale dans laquelle se trouvent les auteurs et les autrices, les femmes, comme elles sont souvent considérées comme inférieures, sont d’autant plus en position de faiblesse.
Or il est dans l’intérêt de tout le monde de se battre communément ; il ne s’agit pas seulement de défendre les femmes. C’est très important de créer des lieux de dialogue comme les syndicats.
Le speed-dating, les entretiens auteurs-éditeurs, était un des rares endroits où je pouvais m’adresser aux auteurs non encore publiés pour leur dire qu’ils ont des droits, qu’ils peuvent dire NON, qu’elles peuvent dire NON, qu’ils ne sont pas en position d’infériorité par principe, que le « oui » d’un éditeur n’est pas le Saint Graal ; le Saint Graal, c’est leur texte, leur roman. C’est un des seuls endroits où leur parler de contrats, et des abus, et de faire attention à eux, et de faire attention à elles.
Depuis douze ans, j’ai œuvré pour les jeunes auteurs. J’ai commencé avec Cocyclics, j’ai publié deux guides des éditeurs de l’imaginaire, j’ai travaillé avec Élise Dattin lors des entretiens pour accompagner les jeunes auteurs. C’était la dernière fois que je le faisais cette année, car je ne peux plus le faire sous la direction de Stéphane Wieser, ce n’est plus possible, ce n’est pas tenable.
Mais je suis très heureuse qu’il y ait d’autres lieux, d’autres endroits, qu’on ait cette discussion aujourd’hui, que Stéphanie Nicot ait programmé cette discussion ici. Ça y est, on va rebondir ! Il ne faut pas que ça tienne à quelques personnes, il faut se saisir de ça et créer des lieux, créer des chartes, créer des documents de référence, des postes de personnes référentes qui soient formées, épaulées, qui soient certaines que le suivi va être fait.
Et former, former, former beaucoup."