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Le Jardin schizologique

Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/2010  -  livre
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Le Jardin schizologique

« Une simple question d'interprétation »

La schizophrénie est une maladie complexe, qui prend de nombreuses formes et qui est, selon la façon qu'elle a de s'exprimer, plus ou moins dure à diagnostiquer et à soigner. La littérature, le cinéma, aiment à la présenter sous sa forme la plus spectaculaire – et sans doute la moins courante – des multiples personnalités.
Avec Le Jardin schizologique, le lecteur pouvait s'attendre, de la part d'Olivier Noël – qui s'intéresse de longue date au sujet  –, qu'il sélectionne des textes ne tirant pas sur la corde caricaturale des multiplications de personnalité.
À première vue, avec des textes comme Née du givre de Mélanie Fazi, Hannah de Frédéric Serva ou Sextuor pour solo de Francis Berthelot, le recueil tombe malheureusement en plein dedans. Le lecteur peu cultivé sur le sujet pourra également interpréter l'affection des personnages d'autres auteurs comme du dédoublement de personnalité (Sam va mieux d'Alain Damasio ou Scopique de Marilou Gratini-Levit) mais la forme de schizophrénie des protagonistes du recueil est aussi difficile à définir que celle de personnes réelles. Toutefois, tandis que certains textes, eux, sont imperméables à toute approche de la part du lecteur, que d'autres dévoilent des formes apparemment imaginaires de schizophrénie (Le syndrome de Beulah décrit par David Calvo dans Effondrement des colonies n'existe pas à notre connaissance ; quant à Philippe Curval et Stéphane Beauverger, ils écrivent de pures nouvelles de science-fiction qui ne s'intéressent que peu à toute forme réelle de schizophrénie, voire pas vraiment à cette maladie elle-même), certains s'attaquent à des manifestations moins photogéniques de schizophrénie (renferment autistique, perte de lien social, et cætera), tel The One de Hugues Simard ou même, finalement, le texte d'Alain Damasio.

Le lecteur qui pensait lire une suite de nouvelles à la Dr. Jekyll & Mr. Hyde de Stevenson n'aura donc pas que ça à se mettre sous la dent. Toutefois, s'il croyait pouvoir apprendre quelque chose sur la schizophrénie au travers du Jardin schizologique, il sera bien déçu. Entre descriptions de formes imaginaires, textes incompréhensibles et absence de toute explication objective sur la schizophrénie, il est bien difficile, pour le lecteur qui pensait trouver un fond de vérité technique et médicale, de se faire une idée quelconque et raisonnée sur cette maladie. En achevant sa lecture, il sera donc tenté soit d'oublier toute idée de comprendre, soit au contraire de lire au plus vite des livres plus objectifs sur la question pour chasser toutes les fausses idées qui pourraient lui avoir été données.

« Écrire pour être lu »

Plusieurs textes du Jardin schizologique sont absolument incompréhensibles, entachés d'une construction ou d'un style qui les rendent opaques, inabordables pour la plupart des lecteurs. L'impression, quand on lit par exemple Connect I Cut : un conte de fées clinique de Sébastien Wojewodka et Sacha de Jeanne Julien (textes simplement hermétiques) ou False Reversion de Thomas Becker (dans laquelle il étale des données scientifiques qui n'éclairent nullement la lanterne du lecteur) est que leurs auteurs, mais aussi l'anthologiste qui a sélectionné ces textes, ont suivi une démarche élitiste, visant haut, en terme d'écriture. Toutefois, ces nouvelles échouent à paraître vraiment d'un niveau élevé car elles ne permettent pas au lecteur qui les aborde d'en sortir grandi, redevable d'un apprentissage de lecture ou d'un élargissement de sa vision de la littérature, comme s'il avait ouvert la porte d'un vaste et splendide espace de découvertes. Le lecteur a plutôt l'impression d'avoir été placé sur le seuil d'un univers flou et lointain qu'il n'a pas envie de franchir. Au lieu de lui transmettre quelque chose, ces auteurs donnent plutôt l'impression d'avoir écrit pour eux, laissant le lecteur sur le bord du chemin, oublié, peut-être même jamais envisagé.
À côté d'une Mélanie Fazi qui démontre une fois encore un talent indiscutable au travers d'une nouvelle sensible et poétique, d'un Alain Damasio qui s'amuse comme il sait si bien le faire avec la langue française, d'un David Calvo dont l'imagination débridée fait des merveilles, d'un Francis Berthelot qui fait certes dans le caricatural, mais avec la manière, d'un couple Léo Henry/Jacques Mucchielli qui lui donne une leçon de d'écriture hors des sentiers battus, efficace et compréhensible, et même d'un Stéphane Beauverger et d'un Philippe Curval en petites formes, la brochette d'auteurs inconnus dénichés par Olivier Noël paraît particulièrement inintéressante.

« Vous sur une rive, nous sur l'autre, nous resterons des étrangers »

Le Jardin schizologique est une anthologie dans laquelle il faut donc piocher pour trouver son bonheur, en sélectionnant évidemment les textes des auteurs les plus connus. Ces derniers ont du métier et sans pour autant prendre le lecteur par la main, tout en faisant souvent preuve d'exigence à son encontre, ils livrent des textes dignes de ce nom.
Les autres auteurs au sommaire de cette anthologie ont encore sans doute à apprendre, si seulement ils en ont l'intention tant leurs nouvelles semblent conçues pour l'incompréhension ou pour forcer des écritures dans lesquelles on aura bien du mal à repérer des traces de talent. Le cas Becker – Noël – est flagrant. Nous ne nous attarderons pas sur la présence d'un texte de l'anthologiste au sommaire de l'ouvrage qu'il dirige, qui démontre un manque de déontologie courant mais pas excusable dans le milieu de l'édition. Nous relèverons seulement que si la publication de sa première nouvelle chez ActuSF (ainsi que la première de Sébastien Wojewodka) avait le mérite, à défaut d'être moins opaque, d'appartenir au domaine de l'expérimental et du coup de cœur, leur apparition au sommaire du Jardin schizologique élève en quelque sorte la démarche de l'écriture et la publication de textes qui font fi du lecteur au rang de concept, de nouvelle approche littéraire, voire même de nouveau courant qu'ils sont seuls à suivre (avec Hugues Simard et Marilou Gratini-Levit), à comprendre, à envisager. Peut-être un Œuvre est-il en construction et que nous en voyons ici les premières pierres, mais on n'y mettrait pas notre main à couper.

Nous n'inviterons donc pas spécialement le lecteur à s'intéresser cette anthologie, sinon pour découvrir les quelques bons textes qui s'y trouvent. Il ne doit également pas s'attendre à pouvoir appréhender mieux qu'il ne le faisait la schizophrénie, tant l'image globale des schizophrènes donnée par l'ouvrage est caricaturale : celle de gens vraiment dérangés, qu'il faudrait peut-être enfermer, tous, sans distinction, tant ils agissent de manières particulièrement folles, voire meurtrières, en oubliant d'évoquer qu'on peut la guérir autrement qu'à l'aide de cellules capitonnées et de traitements chimiques lourds.

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