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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Septembre 2016
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Septembre 2016

Les Légions de poussière de Brandon Sanderson (Outrefleuve)
 
Brandon Sanderson est, sans conteste, l'un des plus grands auteurs de sa génération et l'un de ceux qui font preuve de la plus grande originalité : après nous avoir donné des séries aussi variées que son cycle "Fils-des-Brumes" (coup de coeur de juillet 2012), celle de "Coeur d'Acier" (coup de coeur février 2014) ou celle pour la jeunesse d'"Alcatraz" (coup de coeur de novembre 2013), il nous revient maintenant avec le premier volume d'une nouvelle série, "Les Légions de poussière" (Outrefleuve). Comme d'habitude, sa créativité ne faiblit pas : disons-le de suite, la fameuse "suspension d'incrédulité" dont nous faisons, paraît-il, usage lorsque nous lisons notre genre favori est soumise à très rude épreuve dès les premières pages qui s'ouvrent sur l'attaque d'une jeune fille armée de bâtons de craie qui lui servent à dessiner des défenses au sol contre les silhouettes monstrueuses en deux dimensions, animées (dans tous les sens du mot) des plus mauvaises intentions à son égard ! Et, disons-le aussi tout de suite, ça fonctionne !!! Je me suis laissé prendre au jeu et emporter par l'auteur dans ce monde parallèle au nôtre, où l'histoire et la géographie ont connu des cours différents du nôtre : les eaux sont plus hautes et le territoire de notre Amérique est morcelé en un ensemble d'îles plus ou moins grandes, fédérées plus ou moins à contre-coeur dans ce qui est connu sous le nom d'Iles-Unies (belle carte en début de roman). Sur cette Terre, cette fédération mène depuis des dizaines d'années une guerre sans pitié au Nebrask afin de contenir l'expansion des crayolins sauvages, ces dessins de poussière de craie animés qui dévorent les hommes et sont sans doute à l'origine de la disparition de nombreuses colonies humaines et de certaines tribus indigènes. A la pointe du combat se trouvent les Rithmaticiens, ces hommes et femmes choisis qui jouissent d'un talent bien particulier, celui de pouvoir dessiner des défenses à la craie et de leur donner vie, luttant ainsi contre les crayolins. Dans la prestigieuse académie Armedius de Nouvelle-Brittanie, nous allons faire la connaissance de Joel, fils d'un fabricant de craies disparu lors de l'un de ses voyages d'affaires, qui est un passionné de Rithmatique - il en connaît toutes les théories et combinaisons disponibles pour les non initiés - et dont le désespoir est de ne pouvoir être Rithmaticien. Lorsque va arriver sur le campus l'arrogant jeune professeur Nalizar et que celui-ci va défaire en duel le vieux professeur Fitch, l'un des plus grands théoriciens rithmaticiens qui soit, Joel va enfin avoir sa chance : il va devenir l'assistant de celui-ci et pouvoir découvrir des pans entiers de savoir qui lui étaient auparavant interdits. Certes il doit composer avec la fantasque - elle dessine des licornes ! - et riche (surtout par rapport à lui) Melody, élève particulière de Fitch, en rattrapage estival avec lui vu ses performances plus que médiocres en Rithmatique mais, lorsque des étudiants rithmaticiens vont commencer à disparaître les uns après les autres sur le campus (et en dehors), ils vont mener l'enquête avec le professeur Fitch et le redoutable et efficace inspecteur Harding. Cela mènera Joel sur des pistes insoupçonnées, que ce soit pour les disparitions, la mort de son père ou la Rithmatique. Comme je le disais au début de ce coup de coeur, Brandon Sanderson crée un monde d'une richesse incroyable : non seulement d'un point de vue géographique ou historique - un mystérieux empire asiatique, l'empire joseunien, a envahi l'Europe deux siècles auparavant, causant la fuite de Brittanie et l'exil du roi Grégoire III qui deviendra le premier chef de l'Eglise monarchique et découvrira les bases de la Rithmatique face aux premières attaques des crayolins - mais encore, non content de développer les principes de la Rithmatique - avec dessins et tactiques à l'appui - il crée aussi la science de la Spiromatique, venue d'Egyptia, qui est basée sur une technologie de ressorts comprimés de manière à les charger directement en énergie harmonique (le cheval et les trains spiromatiques font rêver). 
 
Entre l'enquête policière sur les disparitions d'étudiants rithmaticiens auxquelles serait lié un mystérieux Gribouilleur, les découvertes révolutionnaires en matière de Rithmatique - un très beau final à ce premier roman, une ode à la mise en commun des compétences qui résonne de manière particulièrement incisive dans notre environnement social contemporain -, prendre soin de sa mère et apprendre à composer sans se décomposer avec Melody, le brave Joel, ce jeune génie de la Rithmatique qui n'a pas de talent, ne chômera pas au cours des près de 480 pages de ce livre à l'action serrée, à l'intrigue prenante et à l'écriture non dénuée d'humour ; quant au lecteur, il se laissera prendre par la magie du grand raconteur qu'est Brandon Sanderson, toujours bien servi par le travail impeccable de sa traductrice en français attitrée, Mélanie Fazi. Un roman aussi original que passionnant, à découvrir de suite !
 
La Cité des Lamentations et autres aventures d'Irvin Murray  de Paul Martin Gal(Nestiqvenen) 
 
Je vous avais parlé un peu plus tôt dans le mois d'une nouvelle auteure de fantasy au premier roman formidable : septembre se révèle un mois faste en nouveaux auteurs français car en voici maintenant un autre, plutôt situé dans le genre aventures fantastiques, Paul Martin Gal, dont La Cité des Lamentations et autres aventures d'Irvin Murray (Nestiqvenen) fait irrésistiblement penser à Howard, Lovecraft, Buchan et Merritt, avec une pointe de Machen, excusez du peu. Manifestement l'auteur est un grand lecteur de ceux-ci et a su en tirer la quintessence pour écrire les entreprises souvent hasardeuses mais toujours dangereuses d'Irvin Murray, Irlandais qui fut au service de Sa Majesté à Kaboul avant de quitter le consulat (mais a-t-il tout quitté ?) pour parcourir l'Afghanistan de ce début des années 1930, où les rivalités entre clans et tribus, les vengeances poursuivies depuis des siècles, les préjugés divers, coexistent avec des peurs datant d'avant la venue du Prophète, où des entités diverses mettent à mal les préceptes de l'Islam ou forcent les croyants à se souvenir de ce que faisaient leurs ancêtres avant (cf "La Venue du Vetr"). Dès la première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil, nous sommes transportés dans le fin fond du désert du Khorassan, dans une ville maudite et abandonnée depuis des millénaires. Quant à "La Tour des Vents", peut-être mon histoire favorite par le souffle et la puissance d'évocation de l'auteur, Irvin Murray, El Shir, va se retrouver confronté à une créature d'une puissance inimaginable de par son ancienneté, l'Homme noir (Gal connaît ses classiques...). Même lorsque Murray retournera en Irlande, ce sera pour y rencontrer des Yézidis, ces adorateurs de Shaïtan rendus enragés par le vol, par un distingué lord collectionneur anglais, de leurs reliques les plus sacrées ("Le Talisman de Malak Taus"). L'auteur nous fera ainsi découvrir un Kurdistan qui n'a rien à envier en mystères à l'Indu Kush ("Le Temple Noir de Shaykhan") avant de faire appel aux superstitions les plus anciennes sur le pouvoir des gemmes avec "Le Sang du Moghol". Et Murrah Shah, dans "La Vallée de l'Homme mort", se retrouvera confronté au legs des Macédoniens et des Grecs d'Alexandre lorsqu'ils conquirent une partie de l'Afghanistan, la célèbre province de Bactriane. Plus qu'à El Borak, dont il partage le goût pour les errances avec les tribus indigènes, Murray fait penser à Conan - il méprise les conforts de la civilisation et pense qu'un tulwar bien aiguisé peut régler la plupart des problèmes surnaturels - et à Bran Mak Morn pour son côté de barbare celte. Mais peu importe ces comparaisons : Paul Martin Gal a créé un nouveau personnage de légende, qui parcourt avec fougue, sabre et revolver en mains, l'Afghanistan du Grand Jeu, des luttes de pouvoir à Kaboul et dans les vallées perdues, des bandits de grand chemin et des courtisanes raffinées, des peuplades perdues et des ruines oubliées, des créatures surnaturelles et des dieux anciens, des aventuriers et des efriits, de la lâcheté et de la bravoure, de la veulerie et de la droiture. L'auteur a une connaissance encyclopédique des moeurs, des coutumes, des expressions, de chaque tribu afghane, de l'histoire agitée et compliquée du pays, qui lui permet de nous faire entrer de plain pied dans chaque histoire, de comprendre ainsi les réactions des protagonistes issus de cultures fort différentes des nôtres. Voilà un livre magnifique, prenant, qui nous ramène dans ces années lointaines où l'on savait raconter un récit d'aventures en faisant vibrer le lecteur : enfoncez-vous dans votre fauteuil club Chesterfield devant la cheminée, allumez un cigare ou une pipe, un bon verre de whisky posé à côté de vous, et laissez-vous emporter dans le temps et l'espace pour revenir quatre-vingts ans en arrière chevaucher aux côtés de Murrah Shah vers "La Cité des Lamentations".
 
J - 77 et Impact" de Ben H. Winters (Super 8 Editions) 
 
Une de mes découvertes littéraires l'année dernière, que j'avais partagée avec vous (coup de coeur d'août 2015), était "Dernier Meurtre avant la fin du monde" (Super 8 Editions) de Ben H. Winters, dans lequel six mois avant la fin du monde programmée - un astéroïde de 6,5 km de diamètre va heurter la Terre au niveau de l'Indonésie -, un jeune policier qui vient d'être promus inspecteur, Henry Palace, va mener une enquête sur un meurtre bizarre alors que la société commence à se déliter. A cause de sa soeur, il va aussi rencontrer des gens qui ne croient pas à cette fin du monde inéluctable, qui pensent que l'on peut le sauver grâce à un savant exfiltré et des missiles. Dans le tome 2, "J - 77" (Super 8 Editions), Palace ne travaille plus - la police et la société en général finissent de s'effondrer, c'est le règne du chacun pour soi ou des petites communautés qui se maintiennent vaille que vaille - mais, à la demande de son ancienne baby sitter, il va enquêter sur une disparition - alors qu'elles ne se comptent plus - et il retrouvera la piste de sa soeur et du groupe qui croit à une intervention possible.
 
Vient de sortir il y a quelques semaines "Impact" (toujours chez Super 8 Editions) : nous sommes à quelques dizaines de jours de l'impact, Palace a trouvé refuge dans une petite communauté de policiers mais il reprend la route alors que toutes les infrastructures n'existent plus et que c'est maintenant la lutte pour la survie. Il faut qu'il découvre ce qui est arrivé à sa soeur Nico avant de disparaître, il doit savoir si elle est toujours vivante. Accompagné de son chien et de Cortez, truand répugnant et débrouillard, il va se rendre, au prix de grandes difficultés et l'occasion pour nous de découvrir des Etats-Unis pré-
apocalyptiques totalement ravagés, au milieu de nulle part, dans un commissariat du fin fond de l'Ohio. C'est là qu'il découvrira enfin la vérité et élucidera son dernier crime, vingt-quatre heures avant l'impact prévu en Asie. Le roman est tout aussi prenant que les deux précédents, car Ben Winters, avec beaucoup de talent, et Henry Palace, avec beaucoup d'obstination, finissent d'assembler les dernières pièces du puzzle afin de résoudre les différents points en suspens dans les deux premiers volumes, en un final aussi pathétique que beau. Comme dans les précédents volumes, une des grandes forces de l'auteur réside dans sa description et son analyse des réactions des gens face à l'impensable, la disparition inévitable de toute vie humaine sur la Terre, et ce dernier tome est en tout point remarquable. Voilà une bien belle trilogie, à lire impérativement dans l'ordre pour en apprécier toute la puissance.
 
L'Espace d'un an de Becky Chambers (Editions de l'Atalante)
 
Encore un auteur à découvrir grâce aux Editions de l'Atalante : Becky Chambers, avec "L'Espace d'un an", nous fait découvrir la vie quotidienne d'un équipage de vaisseau spatial. Certes, le "Voyageur" n'est pas n'importe quel vaisseau, il s'agit d'un tunnelier qui creuse des trous de ver dans l'espace à la commande pour faciliter les voyages interstellaires. Et son équipage n'est pas non plus n'importe lequel : il est particulièrement bigarré, entre son capitaine, Ashby, un brave type issu de la flotte de l'Exode, celle qui a abandonné le système solaire et a été sauvée par les Aéluons, compétent et compréhensif, son pilote, Sissix, une Aandriske ressemblant à un petit dinosaure affectueux avec écailles et plumes, Artis Corbin, Caucasien pure souche né sur Encelade, roi des "enfoirés" et alguiste hors pair, le docteur et grand cuisinier Miam (son nom véritable st imprononçable), l'un des derniers de son espèce, Ohan, la paire sianate qui est seule capable, grâce à son virus, de faire les calculs nécessaires lorsqu'on est en train de creuser un trou de ver dans l'infrastrate, Kizzy, humaine extravertie et technicienne de génie, et son copain Jenks, un nain qui vit une histoire d'amour passionnée avec Lovelace, l'IA du bord. Va embarquer Rosemary, une jeune humaine de Mars qui fuit sa famille et s'est fait engager sur la base de références et de qualifications fausses. Avec elle, nous allons découvrir la vie à bord, les qualités et les défauts de chacun, mais aussi différentes planètes de la galaxie, la politique galactique, les différentes espèces et leurs rivalités, les enjeux économiques et les egos qui transcendent les espèces. Tout le roman de Becky Chambers est consacré à la différence apparente : l'autre n'est pas pareil donc il est inférieur, peu importe ses qualités intrinsèques ; cela vaut au niveau des individus comme à celui des espèces d'où le racisme ordinaire. Mais Rosemary, de par son éducation, va introduire dans le vaisseau(et par ricochet dans le jeu galactique) une composante nouvelle : la compréhension, l'intérêt pour l'autre et sa culture, ses motivations et ses sentiments. Et lorsqu'on se met à comprendre son interlocuteur, les problèmes peuvent se résoudre beaucoup plus facilement. Avec ses personnages plus ou moins sympathiques mais pour qui l'on ressent toujours une certaine empathie, son équipage dont Rosemary découvrira petit à petit qu'ils ont tous autant de squelettes dans les placards qu'elle, ses planètes aux cultures et aux sociétés parfois très étrangères - avec des descriptions dignes de Jack Vance, en particulier pour les plats et les boissons... -, sa politique galactique intrinsèquement jouée d'avance, ce roman foncièrement optimiste est un hymne à l'ouverture d'esprit, à l'intérêt pour son interlocuteur, au bon sens, à la bonne volonté et à l'intelligence, tout en évitant soigneusement l'écueil des bons sentiments dégoulinants à l'eau de rose. C'est un roman volontariste, plein d'humour - le passage sur l'horreur causée par le fait que Rosemary a mangé de la viande des mammifères élevés dans les ranchs de Mars au lieu de se contenter d'insectes comme tout le monde, vaut son pesant de grillons -, l'un de ces beaux romans de SF que l'on referme en s'étant non seulement bien évadé pendant quelques heures mais aussi en se sentant mieux, en ayant une foi renouvelée dans les capacités de l'humanité.
 
Eschatôn d'Alex Nikolavitch aux Moutons Electriques
 
Je profite de cette rentrée pour continuer d'essayer de rattraper mon retard de lecture et celui accumulé dans l'écriture de mes coups de coeur par la faute de tous ces auteurs et de tous ces éditeurs qui nous proposent trop de bons livres...
 
J'avais eu l'occasion de vous parler déjà d'Alex Nikolavitch lors de la parution de son passionnant essai "Mythe & super-héros" sorti aux Moutons électriques en 2011 (coup de coeur de mai 2011). Il a sorti il y a quelques mois son premier roman, "Eschatôn", toujours aux Moutons électriques. Une grande claque à la lecture, impossible à reposer, une nuit blanche à le lire ! Dans un futur lointain, les hommes se sont disséminés dans la galaxie et doivent faire face à des envahisseurs monstrueux qui transforment les hommes sur les planètes conquises. Il est extrêmement difficile de communiquer avec eux tant leur mode de pensée et leurs motivations sont différents de ceux de l'espèce humaine, ces Puissances (peu nombreuses) sont l'incarnation du Mal absolu. Pour tenter de résister, les hommes se sont organisés sous la direction d'une théocratie absolutiste qui prêche le Saint Catéchisme et la destruction du Mal : c'est grâce à la foi que les hommes vaincront, enrôlés dans d'innombrables légions de diacres qui tentent de reconquérir certaines planètes. C'est aussi grâce à la foi qu'ils peuvent se déplacer dans les immensités interstellaires, certains d'entre eux - les nautes - pouvant se connecter au Mental (une sorte d'aether), et que leurs armes fonctionnent. Et c'est sur une planète perdue que nous allons suivre Wangen, un diacre, et quelques-uns de ses compagnons, seuls survivants d'une grande armée qui a été totalement décimée à son arrivée car quelque chose de terrible s'est passé à leur arrivée. De leur odyssée dans les jungles de ce monde à leur périple de planète en planète, ils découvriront des vérités que les Archontes de l'Eglise préféraient garder cachées : entre les serviteurs des Puissances, les hérétiques qui veulent reconstruire la science et les merveilleux engins des Anciens, et leurs propres alliés, ils auront fort à faire. Avec beaucoup de talent, Alex Nikolavitch a créé un univers imprégné d'une envoûtante ambiance lovecraftienne, où le mélange de primitivisme, de superstition et de technologie fonctionne parfaitement bien. Le lecteur n'oubliera pas de sitôt la vision de ces barges de pierre gigantesques, sortes de cathédrales spatiales, transportant les armées de diacres ou celle des temples des Puissances. De plus, en parallèle de l'intrigue principale, nous suivons, intercalés entre chaque chapitre des deux premières parties, en "interludes" les histoires parallèles de Lothe et de Girthee, deux ecclésiarques aux choix opposés, qui nous éclairent sur ce qui s'est déroulé dans le passé. Un roman superbe, bien construit et rondement mené, au final magnifique, qui constitue un plaidoyer d'actualité pour que les hommes, face à un futur qui leur fait peur, ne se replient pas sur les certitudes d'une foi archaïque et rétrograde qui ne peut mener qu'à la stagnation.
 
De plus, la couverture du livre est ornée d'une belle illustration de Melchior Ascaride qui rend bien l'atmosphère du roman. Vous noterez en page 171 un petit bug d'impression qui a inséré une seconde fois trois lignes mais il est facile de rétablir le texte et cela n'entrave en rien la lecture. A découvrir donc un nouvel auteur talentueux !
 
Super-héros, l'envers du costume de Xavier Fournier  (Editions Fantask) 
 
Xavier Fournier avait fait sensation il y a environ deux ans avec son excellent "Super-héros, une histoire française" (Huginn & Muninn, chronique "Au pied du sapin" décembre 2014). Il revient avec un beau livre reprenant une bonne partie - 70 ! - de ses articles pour le magazine "Comic Box" dont il est le rédacteur. Avec "Super-héros, l'envers du dcostume" (Editions Fantask - ce nom rappellera à nombre d'entre vous des souvenirs merveilleux...) vous aurez les réponses à toutes ce questions qui nous taraudent depuis que nous lisons des comics : outre l'évidente "pourquoi et comment les super-héros choisissent-ils leur identité secrète ?" vous apprendrez aussi les conséquences psychologiques que celle-ci entraîne. Plus important : les super-héros ont-ils des activités sexuelles ? Y a-t-il des super-héros transsexuels ? Vont-il aux toilettes ? Défendent-ils tous les valeurs de la liberté (de préférence à l'américaine) ? Quelle est leur attitude face aux nouvelles technologies ? Comment - si cela leur arrive - vieillissent-ils ? Quid des super-vilains ? Bref, toutes ces questions fondamentales, et bien d'autres, sont abordées par Xavier Fournier dont les connaissances encyclopédiques en la matière lui permettent de nous apporter des éléments souvent inattendus pour calmer nos angoisses existentielles, et toujours fort drôles car l'auteur fait preuve d'un humour sans failles. Un livre à lire donc de toute urgence pour pallier à la morosité de la rentrée !
 
Le Bibliomancien"de Jim C. Hines (L'Atalante) 
 
Avec "Magie ex libris" Tome 1 "Le Bibliomancien" (L'Atalante) de Jim C. Hines, nous avons un roman d'urban fantasy tout à fait original : son héros, Isaac Vainio, est bibliothécaire dan une petite bourgade du Michigan, Copper River. S'il est là, ce n'est par choix mais par punition : il appartient à une société secrète, Die Zwelf Portenaere ou les Douze Gardiens des Portes, fondée par Gutenberg en personne, dont les membres ont pour mission de préserver le secret de l'existence de la magie et des créatures surnaturelles. Isaac jouit d'un don bien particulier, celui de pouvoir plonger la main dans les livres pour en retirer ce dont il a besoin ; étant un bibliomancien fan de SF, il est bien pratique de pouvoir utiliser un sabre-laser ou un pistolet à rayons et autres inventions extraordinaires face aux vampires et à tous les autres méchants qui hantent le monde. Suite à une intervention qui a mal tourné, d'agent de terrain il s'est retrouvé catalogueur de livres au fin fond de nulle part. Mais lorsque des vampires attaquent sa bibliothèque, il va se retrouver malgré lui - mais quelque part heureux de revenir aux affaires - entraîné dans un conflit entre non-morts et Gardiens. Aidé de sa fidèle Titache, une araignée qui peut mettre le feu quand elle est excitée et qui détecte le danger (un clin d'oeil sympathique à son bon diptyque de fantasy "Le Gobelin", paru aussi à L'Atalante), et de la dryade Lena, il va partir sur les traces de Gutenberg, disparu mystérieusement, et dénouer les fils d'un complot machiavélique. Plein d'idées originales comme la cause de la multiplication des créatures surnaturelles, l'emploi d'armes impossibles ou encore la manière d'utiliser le don de bibliomancien, le roman se déroule à un rythme effréné mais toujours plein d'humour : l'auteur se déchaîne avec l'emploi de livres divers (il a manifestement une connaissance très étendue de la SF et de la fantasy américaines) auxquels il ajoute des livres inexistants (plaisir du lecteur que de deviner lesquels, sauf à tricher en consultant la bibliographie des pp 345-346) et en donnant à l'explorateur espagnol Ponce de Léon, l'homme qui cherchait la Fontaine de jouvence, un rôle principal tout à fait inattendu, et Hines, ne reculant devant rien, fait de Nicola Pallas, la chef d'Isaac, une excentrique croisant dans son élevage des chupacabras avec des caniches pour voir les résultats en terme d'hybridation... Le roman est drôle, intelligent, sans doute le meilleur que j'ai lu de l'auteur, d'autant plus qu'il est servi par une traduction impeccable de Lionel Davoust, et fait attendre avec impatience sa suite, "Lecteurs nés".
 
Les Portes d'Athion Anne Sophie Kindraich (Editions Armada) 
 
Cela faisait un certain temps que je n'avais pas lu un roman de fantasy aussi intéressant que celui d'Anne Sophie Kindraich, "Les Portes d'Athion" (Editions Armada) dont c'est le premier roman. L'histoire est celle d'un jeune esclave, Selden, dont la vie heureuse malgré son statut va être bouleversée par la mort (meurtre ?) de son maître bien-aimé, le duc Oriano. Il va être vendu à un aubergiste et se retrouver au centre de l'intérêt des Skybocks, des créatures monstrueuses au service de Sarkor, un magicien aussi immortel que maléfique, et des Inquisiteurs de la ville de Calmédra, centre de cette institution qui fait régner l'ordre et la terreur sur tous les royaumes du continent. Nous découvrirons petit à petit, avec lui, qu'il est le dernier détenteur d'un pouvoir unique et que quiconque le détiendra, lui Selden, aura la possibilité d'ouvrir les fabuleuses Portes d'Athion et d'utiliser la puissance qu'elles renferment, quelle que soit celle-ci. Rien de très original là-dedans , me direz-vous ? Faux ! Toute la force et l'intérêt du roman (un one-shot soit dit en passant, c'est suffisamment rare aujourd'hui pour être signalé) résident dans la psychologie très fouillée des personnages : l'auteur nous montre en près de 400 pages l'évolution difficile de Selden qui n'a connu que l'esclavage et la soumission depuis sa plus tendre enfance. Comment réussir à s'affranchir dans son propre esprit de cette condition, éliminer les vieux réflexes d'obéissance et jouir de la liberté de prendre ses propres décisions ? L'auteur nous fait partager avec beaucoup de finesse les états d'âme et les questionnements de Selden, et son talent est tel qu'elle nous fait aussi entrer dans la psychologie de Sarkor, le monstre psychopathe absolu, d'une cruauté sans égale - la description de l'arrivée de Selden en Athion, de sa découverte de la ville et du palais, fait passer les abominations de Vlad Tepes pour d'aimables fantaisies enfantines -, réussissant non seulement à ce que nous comprenions comment il est devenu ce qu'il est mais aussi, encore plus fort, à nous faire ressentir de l'empathie pour lui ! La psychologie d'autres personnages secondaires mais importants comme Rallen, Charlotte ou encore Antholédrin est tout aussi fouillée. Et vous découvrirez par vous-même les secrets de Pandora, la Sylve: là encore l'auteur rend très bien les difficultés de la communication avec un être dont le mode de pensée et les motivations sont totalement étrangers à ceux de l'espèce humaine. Ajoutons-y nombre de batailles et de meurtres ou d'exécutions sanglants, ainsi que des descriptions plutôt gore pour les amateurs de fantasy "hard", l'auteur n'épargne guère la sensibilité du lecteur et c'est très bien, plus une belle histoire d'amour contrarié, et vous avez un superbe premier roman. Le seul petit bémol, là je m'adresse à Jérôme Baud, l'enthousiaste éditeur d'Armada, le roman aurait dû bénéficier, il le méritait, d'une relecture plus fine car il subsiste un nombre assez élevé de coquilles et de fautes, rien qui empêche de le lire certes, mais c'est toujours regrettable. En outre, il présente quelques petites faiblesses d'écriture qui seront sans doute corrigées très vite, vu le talent d'Anne Sophie Kindraich. Un auteur et un premier roman à découvrir donc !
 
Le Cauchemar Edgar Poe, Polly Shulman, (Bayard)
 
Il y a un an, je vous parlais du roman de Polly Shulman, "L'Expédition H.G. Wells" (Bayard, coup de coeur de septembre 2015), qui se déroulait, une fois de plus, dans les fabuleuses collections du Dépôt d'Objets Empruntables de la Ville de New York et je concluais en disant attendre avec impatience le prochain roman, "The Poe Estate". Il a été traduit en français sous le titre "Le Cauchemar Edgar Poe" (toujours chez Bayard) et tient toutes se promesses. La jeune Sukie habite avec ses parents, qui ont subi des revers de fortune, au Manoir Thorne, chez la vieille tante Hepzibah, une dame charmante et quelque peu excentrique. Sukie est une jeune fille tout à fait normale, si l'on excepte le fantôme de sa soeur disparue qui la suit partout et avec qui elle s'entend fort bien, qui aide ses parents à tenir un stand de brocante. Sa vie va basculer le jour où deux jeunes gens, Elizabeth et Andreas, vont lui proposer de lui acheter le balai dont elle se sert sur le stand, balai qui semble intéresser d'autres personnages étranges. Et elle va ainsi découvrir que ce balai n'est pas simplement ce qu'il paraît, d'où son intérêt pour le Dépôt et pour d'autres, que sa famille et la tante Hepzibah ne sont pas non plus ce qu'elles paraissent être ni d'ailleurs le Manoir. Avec Elizabeth, Andreas et le chien Griffin (dont nous avions fait la connaissance dans "La Malédiction Grimm"), elle va plonger dans les mystères de l'Annexe Edgar Poe, de ses objets fabuleux - ah, voir l'horloge du "Masque de la mort rouge" ! - et surtout de sa collection de maisons tirées des oeuvres du grand auteur... Afin de découvrir un trésor, ils déjoueront de nombreuses embûches et feront un voyage dans un train extraordinaire pour rejoindre la Bibliothèque spectrale - un autre instant de pur bonheur pour les lecteurs d'imaginaire que nous sommes -,dans une odyssée aussi plaisante qu'érudite, qui m'a donné envie de relire Poe. Le roman est bien mené, toujours aussi rempli de clins d'oeil littéraires que les précédents. Un pur moment de lecture d'évasion pour les lecteurs, quel que soit leur âge ! 
Jean-Luc Rivera 
 
Tous les coups de coeur de Jean-Luc Rivera 

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