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Les Pépites de l'imaginaire : La Forêt des araignées tristes de Colin Heine
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Les Pépites de l'imaginaire : La Forêt des araignées tristes de Colin Heine

A l'occasion de la parution des Pépites de l'Imaginaire 2019, découvrez une interview de Colin Heine, auteur de La Forêt des Araignées Tristes, à paraître le 7 février aux éditions Actusf.

De plus Colin Heine sera à la Dimension fantastique le 23 février prochain en compagnie de Thibaud Latil-Nicolas (Chevauche-Brumes - Mnémos) et Nicolas Texier (Opération Jabberwock - Les Moutons Électriques).

Un extrait est également disponible.

Actusf : Bonjour Colin, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Colin Heine : Eh bien, j’ai 45 ans et je vis à Vienne, où je suis professeur d’allemand dans un lycée français. Je vis avec mon épouse et nos deux enfants. Auparavant, j’étais traducteur, et j’ai beaucoup pratiqué le jeu de rôle, dont je garde un souvenir émerveillé. C’est sûrement pour cela que je suis venu à l’écriture, d’ailleurs : à partir d’un certain âge, on a moins de temps pour jouer, pour voir les amis régulièrement, et quand malgré tout on a l’imagination qui travaille, il faut bien que ce qu’elle produit trouve sa place quelque part. Pour moi, ça a été ce livre.

Actusf : Un auteur est avant tout un lecteur... Quelles sont vos influences ou les écrivains qui vous ont marqué ?

Colin Heine : Il y a sûrement eu de nombreuses sources, et pas seulement littéraires. Je crois que j’ai toujours aimé les histoires, quelle que soit leur forme. De nombreux univers de jeu de rôle m’ont intrigué et passionné, mais je pourrais aussi citer des cinéastes. Par exemple, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick a été pour moi une véritable claque. Dans un autre genre, Woody Allen a été un des premiers metteurs en scène à me faire réfléchir sur tout un tas de sujets, et j’en ai certainement gardé un petit quelque chose. Alien, Land & Freedom, Blade Runner ou La Grande Évasion sont d’autres titres qui me viennent spontanément à l’esprit, mais il y en a beaucoup d’autres. En tout cas, je pense que les films ont donné à mon imagination un caractère très visuel. En littérature, j’ai commencé par Moorcock, que j’ai dévoré quand j’avais une quinzaine d’années, puis Lovecraft bien sûr, et il y a eu aussi Anne Rice. Mais je lis également avec plaisir les livres de David Lodge, dans un registre à la fois plus léger et plus « universitaire ». Là aussi, j’en oublie sûrement ! Je voudrais juste citer encore Stephen King, dont j’admire l’écriture à la fois simple et ô combien efficace, ainsi que Robin Hobb, qui avec le cycle de l’Assassin royal est parvenue à créer un canevas de personnages d’une épaisseur qui force le respect.

Actusf : La Forêt des Araignées Tristes est votre premier roman... Quelle a été sa genèse et que raconte-t-il ?

"Ce livre est né lentement. Il m’a fallu du temps pour esquisser les principaux traits de l’univers dans lequel se déroule l’histoire. Tout simplement parce que je l’ai imaginé avant de vouloir écrire."

Colin Heine : Ce livre est né lentement. Il m’a fallu du temps pour esquisser les principaux traits de l’univers dans lequel se déroule l’histoire. Tout simplement parce que je l’ai imaginé avant de vouloir écrire. J’ai donc mis des années à le former tranquillement dans ma tête. C’est seulement ensuite que je me suis dit que ça ferait un cadre intéressant pour un roman.
Quant à l’histoire, justement, c’est à la fois un récit d’espionnage et d’aventure, un voyage mouvementé dans un univers steampunk. C’est en tout cas le premier niveau de lecture. Après, il y en a peut-être d’autres, qu’on est libre de voir ou pas…

Actusf : L'intrigue se déroule principalement sur Gale, une cité à l'architecture particulière car construite sur des piliers... Comment vous est venue l'idée ?

Colin Heine : Là encore, je suis bien en peine pour vous répondre ! Mais l’idée m’a plu car elle permet d’ancrer dans l’espace une hiérarchie architecturale qui reflète une hiérarchie sociale. Les riches sont en haut, au soleil et à l’air frais, tandis que les pauvres végètent en bas, près d’un lac aux eaux vaseuses. Et puis, toute cette verticalité, outre le fait qu’elle est visuellement très forte, permet d’imaginer des scènes intéressantes.

Actusf : On découvre ici et là des touches de steampunk (notamment la fameuse vape qui fait fonctionner les machines). Vous êtes particulièrement attaché à ce genre ?

Colin Heine : Je ne suis absolument pas un spécialiste du steampunk, mais c’est un genre qui m’a toujours séduit. Le rétrofuturisme, de la science-fiction dans le passé, je trouve le concept génial ! C’est d’ailleurs ce qu’on retrouve dans Star Wars : il y a des vaisseaux spatiaux et des pistolets laser… au milieu de princesses, de chevaliers, de magie et d’épées ! Et puis, je pense que le steampunk est un genre sous-représenté. Ou en tout cas, qui n’occupe pas dans le paysage littéraire toute la place qu’il devrait avoir, car il permet de dire beaucoup de choses.

Actusf : L'histoire prend place à une date indéterminée et met en confrontation deux nations, la Gallande et la Germanie, dont les parallèles avec des pays que nous connaissons bien sont évidents. Pourquoi avoir situé votre roman dans un univers inventé de toute pièce plutôt que d'avoir utilisé une histoire alternative de notre monde par exemple ? Est-ce un coup de la vape qui a fait oublier les noms en même temps qu'elle a tout recouvert ?

"Le premier se résume à une simple commodité : je crée mon univers, alors je fais ce que je veux dedans. Si je veux évoquer un aspect de la France du XIXe sans risquer de choquer les férus d’histoire parmi mes lecteurs, je peux le faire sans problème, parce que ce n’est pas vraiment notre monde."

Colin Heine : C’est effectivement une possibilité, même si le roman n’apporte pas de réponse directe à cette question !
En fait, l’intérêt d’un univers inventé m’a paru double. Le premier se résume à une simple commodité : je crée mon univers, alors je fais ce que je veux dedans. Si je veux évoquer un aspect de la France du XIXe sans risquer de choquer les férus d’histoire parmi mes lecteurs, je peux le faire sans problème, parce que ce n’est pas vraiment notre monde. Pareil pour l’Allemagne ou tout autre pays. Ce faisant, je peux aussi évoquer des éléments réels. Bref, il n’y a que des avantages.
Le deuxième intérêt de cet univers décalé, c’est qu’il me permet de ne pas prendre tout ça trop au sérieux, tout bêtement. C’est pour moi une manière de dire au lecteur : « Je vais te raconter des choses dans un univers qu’on ne peut pas vraiment considérer comme réel, parce que j’ai donné des noms inventés à des pays que nous identifions parfaitement toi et moi, personne n’est dupe. Je ne me suis même pas donné la peine de les déguiser. Donc, amuse-toi avec cette histoire, elle est là pour ça. » D’ailleurs, certaines charnières très importantes de l’intrigue (je ne veux rien dévoiler) sont parfaitement triviales. C’est quelque chose que j’aime bien.

Actusf : Le roman frappe par sa galerie de personnages marquants et notamment Agathe, qui n'a pas la langue dans sa poche ! Pouvez-vous nous les présenter en quelques mots ?

Colin Heine : Là encore, je ne veux pas trop en dévoiler… Mais on rencontre effectivement Agathe, une gouvernante acerbe, et mordante dans sa manière d’aimer. Le personnage principal est un paléontologue désœuvré, qui se demande un peu où il en est dans la vie. On croise également la route d’un aventurier envoyé par une importante compagnie en mission d’exploration. Il y a aussi un assassin ventripotent, dont la cruauté n’a d’égale que la bassesse d’âme, ainsi qu’un détective privé, à la fois cynique et efficace. Un inventeur insaisissable complète le tableau…

Actusf : Au milieu des intrigues politiques, de scènes flirtant avec l'horreur et de l'action souvent enlevée, on assiste également à des critiques sociétales fortes, en filigrane. C'est important pour vous de parler de certaines problématiques et pas de proposer uniquement un roman de pur divertissement ?

"Quelle que soit l’histoire, il faut la raconter honnêtement, je pense, et ça signifie qu’il faut y mettre de soi. Or pour moi, les questions politiques comptent… parce que le monde va de plus en plus mal, tout simplement."

Colin Heine : Oui, et c’est précisément pour cette raison que, de ce point de vue là, je ne me suis forcé à rien. Car je savais que, de toute façon, le positionnement politique que vous évoquez allait transparaître, et c’est très bien comme ça. Quelle que soit l’histoire, il faut la raconter honnêtement, je pense, et ça signifie qu’il faut y mettre de soi. Or pour moi, les questions politiques comptent… parce que le monde va de plus en plus mal, tout simplement. Je n’ai donc ni forcé, ni cherché à contenir cette tendance qui m’est venue naturellement de dire des choses politiques, de prendre position. L’idée n’a jamais été de faire de ce roman une tribune, et ce n’est pas ce qu’il est, mais certaines réflexions devaient fatalement y trouver leur place, et je suis heureux que ce soit le cas.

Actusf : À la lecture du roman, on est frappé autant par ce qui est dit que ce qui ne l'est pas, tous les petits détails qui semblent triviaux mais qui revêtent au contraire d'une signification lourde de sens. Rien n'est là par hasard ?

Colin Heine : Effectivement, l’univers steampunk se prête bien, pour moi en tout cas, à l’interprétation de certains éléments secondaires en apparence. C’est probablement une des raisons pour lesquelles ce genre m’attire. Par exemple, la symbolique du rouage, constitutif du steampunk avec ses machineries en tous genres, peut aussi se lire comme la place de l’individu dans la grande machine qu’est la société. À cet égard, le fait que Bastien ne « tourne pas rond » en dit long sur lui… De même, on peut certes voir dans la vape une critique de la pollution, mais on peut aussi y lire la dénonciation de l’économie financiarisée à outrance, où la richesse produite alimente la spéculation et provoquera la crise suivante : ainsi, dans mon roman, les gens chassent la vape au moyen d’éoliennes… qui produisent de la vape. On peut donc se demander quand se produira la prochaine catastrophe.
Je pourrais citer d’autres éléments, mais disons simplement que la possibilité de les intégrer naturellement à une aventure m’a beaucoup influencé dans la création de l’univers du livre. Non pas que le steampunk soit le seul genre dans lequel ce soit possible, bien sûr. Mais c’est pour moi une esthétique et un paysage social avec lesquels je me sens à l’aise pour mettre en place ce sous-texte : des détails sur lesquels vient se greffer un sens qui n’apparaît pas forcément au premier abord.

"Par exemple, la symbolique du rouage, constitutif du steampunk avec ses machineries en tous genres, peut aussi se lire comme la place de l’individu dans la grande machine qu’est la société."

Actusf : Justement, pour rebondir, on a aussi l'impression que c'est important pour vous de laisser volontairement des éléments de l'histoire dans le flou…

Colin Heine : C’est vrai, je pense que c’est une erreur de tout expliquer. Il faut donner des clefs, bien sûr, mais c’est au lecteur de s’en servir. Je trouve beaucoup plus intéressant de ne pas tout présenter sur un plateau. À mon sens, l’écriture, c’est aussi se laisser guider par son intuition, se laisser porter par l’histoire au fil de la plume. Ce qui veut dire qu’il y a forcément une signification, même si elle n’est pas dite, ni même perçue par l’auteur sur le moment. Or, ce sont précisément ces zones d’ombres qui permettent éventuellement au lecteur de « voir » ce qu’il veut : ainsi, l’histoire a aussi de la place pour ce que le lecteur y apporte, et c’est une chose à laquelle je tiens beaucoup. Sinon, si tout est planifié, expliqué et bien huilé, c’est juste un travail de rédaction, et on se prive de la possibilité de mettre des choses spontanées qui, si on cherche un peu, peuvent trouver un sens. Un sens qui ne sera d’ailleurs pas forcément le même pour tout le monde…

Actusf : Avez-vous déjà de nouveaux projets en cours ?

Colin Heine : Je pense ne pas avoir terminé d’explorer l’univers de La Forêt des Araignées Tristes. J’ai donc jeté les bases, non pas d’une suite, mais d’un autre récit prenant place dans ce monde, avec d’autres personnages. Les choses doivent mûrir encore un peu, mais elles prennent forme petit à petit.

Actusf : Le mot de la fin ?

Colin Heine : Juste ma grande joie de pouvoir partager, sous la forme de ce livre, plein de choses que j’avais dans la tête !

Retrouvez Colin Heine le 23 février à la Dimension fantastique à Paris, le 15 mars de nouveau à la Dimension fantastique à Paris, les 16 et 17 mars au salon du livre de Paris et le 19 mars à la librairie française Hartlieb de Vienne (Autriche).

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