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Pourquoi faut-il lire Jack Vance ? avec Pierre-Paul Durastanti
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Pourquoi faut-il lire Jack Vance ? avec Pierre-Paul Durastanti

A l'occasion de la sortie fin février du 1er volume des Nouvelles de Jack Vance aux éditions Le Bélial', découvrez une interview de Pierre-Paul Durastanti, anthologiste et traducteur de ce recueil.

Actusf : Quelle place a, selon vous, Jack Vance dans le paysage de la science-fiction mondiale ? Comment l’avez-vous découvert ? Qu’est ce qui vous a poussé à le traduire ?

"C’est aussi l’un des rares écrivains parfaitement identifié à la science-fiction et à la fantasy qui a connu de belles réussites dans le polar[...]"

Pierre-Paul Durastanti : Vance occupe un espace bien spécifique : ses lecteurs l’adorent, ses collègues l’admirent, mais il a gardé tout au long de ses soixante ans de carrière une place à part. Il n’a guère engendré de descendance littéraire, si on met de côté l’hommage de son ami Robert Silverberg avec le cycle de Majipoor. C’est aussi l’un des rares écrivains parfaitement identifié à la science-fiction et à la fantasy qui a connu de belles réussites dans le polar ; je ne vois guère que Fredric Brown, bien moins prolifique que lui dans nos domaines, à qui le comparer sur ce plan.

Ma découverte remonte à une quarantaine d’années, donc c’est un peu flou, mais le premier de ses livres que j’ai lus, ce devait être Un monde magique, en J’ai Lu. Bonne exposition à son mélange des genres, puisqu’on est dans de la fantasy qui se situe en réalité dans un futur très lointain. J’ai dû lire ensuite les Alastor, et c’était foutu ! Accro à vie.

L’avantage quand on est traducteur + éditeur, c’est qu’on peut se faire plaisir, joindre l’utile (manger) à l’agréable (manger, encore, mais aussi choisir d’œuvrer sur un auteur dont on est fan).

Actusf : Quel est le premier souvenir que vous retenez de ses histoires ?

Pierre-Paul Durastanti : L’élégance narquoise de son style. La distanciation ironique vis-à-vis de ses personnages. L’inventivité des mœurs décrites.

Actusf : Quelles sont les caractéristiques de son imaginaire ? Quels sont d’après vous les grands axes de réflexion de Jack Vance ?

Pierre-Paul Durastanti : Il sait susciter l’émerveillement et le malaise dans un même texte. Il dépayse en rappelant la constance des maux humains. Cette union des contraires, ce n’est pas si fréquent.

Actusf : Est-ce que l’on peut dire que les problématiques soulevées dans ses romans sont toujours d’actualité ? Ou ont-elles évolué ?

"Ses romans dépeignent aussi bien des héros que des gens faillibles, en proportions égales, et mettent en scène des préoccupations universelles : la soif de justice, la violence, la bêtise, la liberté…"

Pierre-Paul Durastanti : Ses romans dépeignent aussi bien des héros que des gens faillibles, en proportions égales, et mettent en scène des préoccupations universelles : la soif de justice, la violence, la bêtise, la liberté… Et si on prend une nouvelle comme Personnes déplacées, parue en 1953, et qu’on remplace « Trogs » par « réfugiés », on a l’impression de lire un compte-rendu de l’actuelle crise migratoire toujours en cours, et tout aussi mal (ou trop bien…) gérée.

Actusf : Qu’est-ce qui vous intéresse dans le genre de la science-fiction ?

Pierre-Paul Durastanti : Je suis quelqu’un de casanier qui trouve là des échappées belles, et un inculte en philosophie qui adore voir illustrés toutes sortes de sujets de réflexion.

Actusf : Son œuvre a-t-elle eu une incidence sur notre perception du monde ?

Pierre-Paul Durastanti : Je ne saurais dire. Elle en a eu sur la mienne, au sens où elle fait comprendre que le réenchantement du monde n’est pas une garantie de plénitude : les vieux maux ont la vie dure. C’est une bonne vérité première à garder en tête, je trouve.

Actusf : Y-a-t-il encore des œuvres d’inspiration « vancienne » de nos jours ?

Pierre-Paul Durastanti : Assez peu, mais on détectera son influence chez George RR Martin, par exemple. Je citerai aussi Bradley P. Beaulieu, Gene Wolfe, Tanith Lee, et un très beau roman de Michel Jeury, Le Monde du lignus.

Actusf : Si vous deviez recommander un de ses récits, lequel serait-ce ? Pourquoi ?

Pierre-Paul Durastanti : « Le Papillon de lune ». Un cadre dépaysant, une solide assise sociologique, des personnages roublards, un style ciselé, une véritable intelligence du récit. Un chef d’œuvre, à tous les sens du terme.

Actusf : Vous avez une impressionnante liste d’auteurs traduits  : Gene Wolfe, Peter Watts, George Martin, Ken Liu…  Ces travaux vous ont amenés à à rencontrer et à dialoguer avec ces auteurs ? Comment cela se passe-t-il ?

Pierre-Paul Durastanti : J’évite le plus possible de les embêter, mais il est vrai que le net a grandement facilité les échanges. Il peut m’arriver de demander un éclaircissement ou, car je suis vil, de signaler une bêtise. D’un autre côté, j’ai eu la chance de passer, sur leur invitation, une journée à Rocamadour avec Robert Silverberg et Karen Haber (son épouse), à visiter cette belle ville, à nous restaurer, à bavarder des heures durant, et j’avoue qu’il y a de pires souvenirs.

Actusf : Traduire n’est pas toujours simple. Est-ce que la traduction des écrits de Jack Vance a entraîné des difficultés particulières ? Comment avez-vous travaillé ?

"Vance est disert, il ne faut pas le rendre bavard ; précis, on doit coller à ses choix ; parfois cash, on se garde de l’édulcorer."

Pierre-Paul Durastanti : J’ai davantage réécrit ses œuvres que donné des traductions inédites, mais ce sont les soucis de respect du style qui m’ont préoccupé dans un cas comme dans l’autre. Vance est disert, il ne faut pas le rendre bavard ; précis, on doit coller à ses choix ; parfois cash, on se garde de l’édulcorer.

Actusf : Quels sont vos futurs projets ?

Pierre-Paul Durastanti : Après avoir passé une bonne moitié d’une année sur deux écrivains très idiosyncrasiques (Jack Vance et C.J. Cherryh), je m’ébroue en traduisant des nouvelles les plus diverses possibles, et le quatrième Capitaine Futur d’Edmond Hamilton. Ensuite, sont prévus du Heinlein, du Ken Liu et même, joie et félicité, un retour dans le domaine du jeu de rôle que je n’avais plus pratiqué comme traducteur depuis vingt ans. Du JDR à tentacules et à horreur cosmique : miam !

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