La Femme du bois

À mi-chemin entre les romans d’aventures de Ridder Haggard et les horreurs cosmiques de Lovecraft, Abraham Merritt a su illustrer de façon remarquable les thèmes classiques des mondes perdus et des civilisations mystérieuses qu’ils abritent. Passionné de mythologie et d’archéologie, Merritt a gagné l’immortalité (ou presque) grâce à des livres qui ont fait rêver des générations d’amateurs de science-fantasy avec des textes aussi mémorables que Les Habitants du mirage ou La Nef d’Ishtar. Et s’il était besoin de références, il suffit de mentionner l’admiration sincère qu’avait pour ses textes Howard Phillips Lovecraft... La Femme du bois contient l’intégralité des fictions courtes de l’auteur et donne une idée assez précise de son univers littéraire, à la fois poétique et mystérieux…  

En 1933 débute la publication mensuelle de Cosmos, qui devait être – d’après le fanzine qui devait en abriter les chapitres – le plus formidable roman de scientifiction jamais imprimé ! Chacun des dix-sept chapitres allait être écrit par les meilleurs auteurs des pulps de l’époque et Abraham Merritt se chargea de la rédaction du onzième d’entre eux, qui fut ensuite plusieurs fois repris sous la forme d’une nouvelle ("Le poète et les robots"). La plupart des auteurs de ce projet ont aujourd’hui été oubliés et la nouvelle de Merritt n’a plus qu’un intérêt historique, mais quelle aventure pour le fan d’avant-guerre ! Merritt sembla apprécier l’exercice puisque "Le défi de l’au-delà", la nouvelle qui clôt le présent recueil, fut une autre collaboration avec cette fois Catherine L. Moore, Franck Belknap Long, Robert Howard et leur maître à tous, Howard Phillips Lovecraft en personne. La participation de notre auteur reste ici plutôt modeste et c’est bien entendu la plume hallucinée du Maître de Providence qui se taille la part du lion avec quelques-unes de ces pages de la poésie innommable dont il était coutumier.

De bonnes nouvelles de derrière les fagots…
 

Une bonne moitié de ces textes de provenance variée n’attirera que les collectionneurs, mais certains d’entre eux restent cependant plus que recommandables en dépit de leur âge, voire frisent le statut de chef-d’œuvre intemporel ! La plus intéressante d’entre ces nouvelles, "Trois lignes de vieux français", est une histoire qui marqua les esprits à l’époque de sa parution et conserve encore tout son intérêt. Le cadre des tranchées de Verdun pendant la Première Guerre mondiale constitue un lieu privilégié de passage vers une autre dimension, plus douce et désirable. C’est sans conteste une des grandes réussites d’Abraham Merritt, qui n'oublie jamais que les vertus paradoxales de l'horreur donnent un terreau souvent propice à la naissance des plus belles romances. "La Femme du bois", qui donne son titre au recueil, est également une bonne surprise et doit autant à une vision animiste du monde qu’à la philosophie naturaliste de Thoreau. L’article sur la magicienne Circé qui ouvre le recueil, sous couvert de didactisme, constitue également une bonne approche des thèmes et du style d’un des auteurs qui ont fondé et fécondé la fantasy en l’hybridant avec les ferments de la scientifiction. Il faut néanmoins reconnaître que certains récits se révèlent nettement plus datés et difficiles d’accès pour un lecteur contemporain. La science-fiction de cette époque pionnière avait l’habitude d’utiliser quelques techniques narratives devenues obsolètes. Peu importe, sous la naïveté des procédés, les idées demeurent et peuvent encore satisfaire la soif de merveilleux de ceux qui voudront se prêter à l’expérience consistant à lire avec l’esprit d’un lecteur du début du siècle dernier. Et faut-il également insister sur la superbe illustration de couverture de J. M. Nicollet pour vous inciter à courir chez le bouquiniste le plus proche ?