Pouvoirs Critiques, Anthologie de Politique Fiction

Pouvoirs Critiques, Anthologie de Politique Fiction

Avant de commencer cet article, je dois vous faire un aveu. La politique fiction est sans doute l'un de mes thèmes préférés en science fiction. Pourquoi ? Parce que j'aime ce côté dénonciateur et rentre dedans de la SF, cette mise en garde du lecteur contre son présent et ses dérives qui donne une autre dimension à un livre. J'aime la douce mélancolie de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, le souffle de la démocratie de Parleur d'Ayerdhal ou la révolte de Demain une oasis, la mise en garde contre la montée du FN dans Jihad de Ligny, contre les manipulations de la population par les gouvernants chez Philip K. Dick (La Vérité avant dernière) ou Pierre Pelot (Parabellum Tango), la dictature de la consommation dans Naissez nous ferons le reste de Patrice Duvic et j'en passe… Bref, voici un sous-genre de la SF qui parle à l'adolescent révolté caché dans mon subconscient à côté de la case " utopiste ". Sachant cela, imaginez avec quel plaisir j'ai vu arriver l'anthologie Pouvoirs Critiques chez Nestiveqnen. Douze nouvelles de politique fiction : un bonheur annoncé et quelques déceptions au final… Autant dire que je ne vais pas me priver de commenter chaque textes.

Des lemmings et un polar

Patrick Eris et sa nouvelle Lemmings a l'honneur d'ouvrir l'anthologie. Ici, ça fleure bon l'écrasement de la jeunesse sous des airs de bonheur. Grosso modo pour lutter contre la vague de suicides qui touche les pays industrialisés, l'état conseille fortement de se divertir et d'avoir l'air heureux. Mais lorsqu'elle est institutionnalisée, la joie de vivre ne cache-t-elle pas la réalité ? Lemmings est un bon petit texte d'introduction. La fin est un peu courte à mon goût mais le reste est sympathique.

Vient ensuite en seconde position Sisyphe endormi de Johan Heliot. L'auteur de La Lune seule le sait nous raconte ici le réveil régulier d'un soldat inconnu bio-mécanisé pour raconter la guerre totale qu'il a vécu aux générations futures. Année après année, le discours est identique, jouant à merveille son rôle de mémoire semi-vivante. Reste à savoir si ce stratagème servira vraiment de garde fou aux générations futures. Encore un bon texte. On est loin du chef d'œuvre mais le principe est excellent et la nouvelle se lit avec facilité. Rien à dire.

En troisième position on trouve L'Invincible armada de Jonas Lenn, un polar futuriste bien sympathique. Un membre d'une puissante société virtuelle est tué en plein restaurant par sa compagne. Est-elle réellement coupable ? Rien n'est moins sûr et la police mène l'enquête malgré des preuves accablantes. Il ne faut pas le nier, l'ensemble est relativement classique : le policier intelligent et détaché faisant tout pour prouver l'innocence de l'accusée… Pas de réelle surprise au programme mais une intrigue admirablement menée. Et si on se doute rapidement de la conclusion finale, on n'en lit pas moins l'histoire jusqu'au dernier mot.

Part-Time Punk de David Calvo est sans doute la plus intrigante des nouvelles. Mais Bon Dieu se demande-t-on jusqu'à la dernière page, mais où veut-il en venir avec cette histoire absurde à la première personne du singulier d'un homme attendant la fin du monde dans une cabane ? Une fois la nouvelle terminée, on se dit que finalement David Calvo a bien réussi son coup avec sa narration accrocheuse.

Gennefort, Ligny, Ayerdhal

Avec Attentat sur Bodday, Laurent Genefort se laisse aller à une petite réflexion sur le thème du meilleur des mondes. Son arme ? Une sombre histoire de séduction entre une vieille dirigeante et un beau jeune homme sur fond de révolte et d'attentat. Une petite réussite.

Jean-Marc Ligny a remporté le prix de la nouvelle la plus courte du sommaire avec L'OEil de Caïn. Trois pages à peine et puis s'en va. Mais quelle nouvelle ! En voilà une qui dénonce clairement les dérives de Big Brother sans fioriture ni chichi. A méditer à l'heure des grands débats sur la sécurité et après les attentats du 11 Septembre.

Du côté de Jean-Pierre Hubert, on parle d'utopie avec Peintre de lunes. Ce qui semble être un pilier de bar s'adresse directement au lecteur pour lui parler de son rêve un peu fou dans un monde qui en a bien besoin. Là encore, une nouvelle plaisante.

Aller simple d'Ayerdhal nous emmène dans l'espace et décrit l'arrivée de colons humains sur une nouvelle planète. Enfin, d'un seul colon. Tous les autres sont morts pendant le voyage. Pourquoi ? A vous de le découvrir. Une nouvelle fois cet auteur dénonce la connerie humaine en allant même un peu plus loin. L'ironie et l'amertume d'Ayerdhal dans un texte un peu court.

Je ne vous raconterai pas la nouvelle de Laurent Queyssi simplement pour vous encourager à la lire. Je me contenterai de dire que c'est un bon texte à découvrir.

Une fille et des enchères

Seule fille au sommaire, Nathalie Dau a choisi les origines de l'humanité pour traiter de politique fiction. Ici nous sommes au temps de peuplades et des croyances en des dieux primitifs. On accroche ou on n'accroche pas. Pour ma part, je serais bien en peine de dire pourquoi je n'ai pas apprécié sa nouvelle. Et pourtant, je ne suis guère emballé.

Enchères de Jean-Michel Calvez comporte une idée simple et originale. Et si l'on finissait par pouvoir acheter les droits d'exploitation pour la vie et le nom d'un personnage célèbre ? Voilà qui devrait ravir quelques richissimes capitalistes surtout si le système est applicable partout, même pour l'histoire d'un peuple amazonien. Cynique, ironique, voici un autre récit un peu rentre dedans.

Enfin, Bruno Bordier a écrit une nouvelle au titre imprononçable : Nahk Ila Hetaf Tarsun. Ici une société résolument machiste oppriment les femmes et les gens de basse extraction. Comment réussir à faire changer les choses ? Comment passer outre la tradition ?

Peu de parti pris

Sentiment mitigé en fermant la dernière page de cette anthologie. Un peu trop de nouvelles flirtent seulement de loin avec la politique fiction. Elles dénoncent en général assez mollement quelques faits ici ou là, prenant bien garde à ne pas prendre parti. Bien sûr, ce n'est pas le cas de tous les textes. Jean-Marc Ligny ou Jean-Michel Calvez sont bien trop en prise avec notre quotidien pour que l'on puisse louper leurs allusions. Néanmoins, ces nouvelles et leurs camarades dans le même ton sont un peu isolés. Autre regret, la petite taille des textes. Certaines histoires auraient mérité quelques pages en plus. Côté positif, la qualité générale de l'ensemble est indéniable et l'on ne s'ennuie pas. On prend même du plaisir à lire Pouvoirs critiques, même si l'on aurait aimé des textes un peu plus remuants.