Les dieux de Cluny (Précédé du Fantôme d'Orsay)
Auteur de polars, de romans gothiques sanglants, scénariste de BD, habitué des revues Galaxies et Ténèbres et partageant à l'occasion la plume avec son fils Boris, François Darnaudet n'est pas un inconnu. Et c'est encore avec un genre nouveau pour lui qu'il fait, en cette fin d'année, son entrée chez Nestiveqnen.
Avec ces deux novellas, il choisit de rendre un hommage assumé au vrai roman populaire français. Celui de Gaston Leroux et de Maurice Leblanc, de Souvestre et Allain, et bien entendu celui de Arthur Bernède, le père de Judex et de Belphegor.
Elle est mince la frontière entre l'hommage et le pompage. C'est ce qui rend l'exercice périlleux. François Darnaudet l'a si bien compris, qu'il a résolument prit le parti de se faire plaisir. Tant mieux, car son plaisir est communicatif.
Une fausse vraie suite
Avec Le fantôme d'Orsay Darnaudet a envie de s'amuser. Sans autre arrière-pensée. Entre les sombres mystères d'un Paris de carte postale, et les démons sanglants du passé, il plante un univers à la fois personnel et très référencé, qui nous est immédiatement familier. La raison en est simple : il jongle habilement avec les canons du genre. Tout y est, fantôme et sombre malédiction ; même la belle ingénue - jouet de forces qui la dépassent -, et l'étudiant désœuvré entraîné dans la spirale d'un occultisme de bazar. Pimentant le tout d'un peu de sexe débridé, et s'offrant la fantaisie d'un flic intelligent, il réactualise astucieusement le genre, et fait du Fantôme d'Orsay ce qu'aurait dû être pour le cinéma le Belphegor de Jean-Paul Salomé, s'il n'avait pas été servi par des tréteaux et une poignée de stars à moitié mortes d'ennui.
Mais si Darnaudet musardait gaiement avec la première partie de ce "diptyque", il s'affirme vraiment avec sa fausse vraie suite.
Eliminant sans s'embarrasser, presque comme un vrai feuilletoniste, les personnages les moins intéressants du Fantôme d'Orsay, il fait prendre à l'intrigue des Dieux de Cluny un tour nettement plus mystérieux en y introduisant les Gardiens de Fissures, une société secrète dont les membres sont les geôliers des dieux anciens. L'occasion de poser son personnage principal - Eric Bernardi-, en héros qui pourrait avantageusement devenir récurrent.
Un amoureux de Paris
Et de fait, Les Dieux de Cluny sont presque un deuxième volet de présentation de cet univers de légendes oubliées et de menaces indicibles. Plus soignée dans le style, et dans le découpage de l'intrigue, cette histoire de dieux évadés est menée à train d'enfer. Alors on se laisse aller à la jubilation du pur roman d'aventure. On croit à ce Paris sombre et magique, presque intemporel. Cette ville que la lumière d'un réverbère sur l'asphalte mouillée ou un bruit de pas sur les pavés en grès éveillent de temps à autre chez tout lecteur de Lupin ou de Fantomas. C'est la cité des ombres qui, une fois la nuit tombée, nous attend au coin d'une rue du quartier latin, ou aux abords de Notre-Dame.
Les Dieux de Cluny est le roman composite d'un amoureux d'un certain Paris qui vit à Auch, et avec lequel l'ami Darnaudet pourrait bien finir par nous refaire le coup de Maurice Leblanc, et se retrouver enchaîné à l'ombre de son personnage pour une belle série, écrite dans la plus pure tradition du vrai roman populaire. En tout cas, nous, on ne serait pas contre. Loin de là.