Le Sang des lions
Après une entrée remarquée dans l'univers de la littérature de l'imaginaire jeunesse avec la trilogie de space opera Les Enfants d'Eden parue dans la collection Autres Mondes chez Mango, Loic le Borgne, un journaliste originaire de Rennes et voyageur au long cours a livré un remarquable Je suis ta nuit" thriller capable de vous glacer le sang en quelques lignes. 8 mois à peine après ce choc, le voilà de retour dans la même collection 15-20 avec cette fois une anticipation à la fois épique et politique, baignée de ses souvenirs d'Afrique.
Dans la jungle, terrible jungle
Jef est accueilli au parc Kilimandjaro Magic Eden à coup de gifles et de coups de pied dans les côtes. Car dans ce paradis pour touristes fortunés, ce jeune réfugié européen y entre comme OD, ouvrier subalterne et condamné à travailler, prisonnier et traité pire que les animaux, chargé des tâches les plus ingrates et les dangereuses.
Et malgré les dures conditions, malgré la détention, Jef va percevoir dans cet Afrikwana du XXIIe siècle, le rêve africain qui animait le discours de sa mère, là-bas de l'autre côté de la barrière, de l'autre côté de la misère.
Sur cette terre africaine si convoitée, bien des dangers menacent Jef. Celui qui pèse sur tout le parc en premier lieu : le retour à l'état sauvage des animaux que la génétique avait rendus doux et paisibles comme des agneaux en peluche. Et les dégats causés par ces spécimens là désignés comme garous. Mais pire encore que ces animaux dénaturés sont Lémiso froidement déterminé à briser les OD arrogants, Drake Fox ancien vétéran traqueur implacable ou Astrid, la fille de Fox véritable tigresse prise au piège des charmes de Jef et peu encline à s'avouer vaincue. Heureusement, Jef conquiert rapidement de précieux alliés.
"La vie n'est parfois qu'une question de quota"
Le background politique de ce récit repose sur une inversion symétrique des rapports de force actuels, inversant les flux migratoires. Pour l'Europe exsangue l'Eldorado c'est l'Afrique, attirant des milliers et des milliers de candidats à l'immigration sur lesquels peu atteignent leur but vivant.
L'aventure de Jef est d'autant plus poignante qu'en plus des coups physiques qu'il encaisse, il doit composer avec ses traumatismes, les souvenirs liés à sa précaire existence en Europe, et la douleur de la séparation avec les siens, sa famille d'abord puis son compagnon de fuite clandestine.
Et en plus de ce poignant cheminement personnel, Jef se retrouve vite pris en étau entre deux forces. Il lui faut choisir entre une proposition qui semble un commencement d'amélioration de sa situation et le soutien à l'opposition au pouvoir en place. La soif de vengeance risque de lui dicter de mauvaises décisions, de le soustraire à la raison et le soumettre à l'instinct.
Heureusement, "un rêve le pousse et il n'est pas de plus puissant moteur que celui-là".
"C'est ça l'Afrique, c'est un coeur gorgé de sang, notre sang à tous qui bat, qui bat, qui bat"...
En plus de la dimension initiatique, de la réflexion géo-stratégique, Le Sang des lions palpite d'énergie, des scènes d'une grande intensité rendent un hommage vibrant à toute la nature, nature humaine comprise, que l'humanité a cru pouvoir juguler mais qui finit toujours par reprendre ses droits, par s'imposer dans toute sa majesté et sa légitimité.
Loic Le Borgne a évité les écueils d'un folklore trop clinquant quand interviennent les Massaï. Sous leur apparente simplicité scénarisée pour les visiteurs, les tribus ancestrales ont fourbi leurs armes pour rétablir la "loi de la nature et du monde".
L'auteur lui a su mêler poésie, souffle d'un récit dans la lignée des Kessel, Conrad nourri d'affrontements et de rebondissements et ode à l'Afrique pour offrir à ses lecteurs un roman lumineux, invite à cheminer vers un modus vivendi plus harmonieux.