Tamora Pierce est peu traduite en France et il faut saluer la bonne initiative des éditions Hachette Jeunesse de publier le cycle d’Alanna (Le Chant de la lionne). C’est avec cette tétralogie de l’univers de Tortall que Tamora Pierce a connu le succès aux Etats-Unis dans les années 80-90. Aucune raison (si ce n’est que la concurrence est devenue plus rude) de ne pas connaître également le succès en France.
Ce premier tome du cycle est sa première publication. Si ce n’est pas le meilleur de ses livres du point de vue littéraire, tous les ingrédients en germe dans son œuvre sont présents. Il marque d’emblée le style de l’auteure qui met en scène, dans un style simple et direct, une jeune héroïne et son parcours initiatique vers un état adulte idéalisé dans un univers médiéval magique.
Dans ce roman, Alanna, comme Hua Mulan dans le conte chinois, entreprend une carrière militaire (dévolue aux jeunes nobles) interdite aux filles. Dans la promiscuité des garçons à qui elle en impose, elle doit cacher sa vraie nature. Ce qui devient ardu quand la nature, justement, fait son œuvre.
Dans la famille Table ronde, la nana
Alanna et Thom, les jumeaux du seigneur de Trebond, ont l’âge de quitter le château familial. Alanna doit entrer dans un couvent et Thom commencer son parcours de chevalier. Le problème, c’est qu’Alanna ne veut pas devenir une magicienne, mais une combattante et que le penchant de Thom pour la sorcellerie n’a d’égal que son aversion pour les armes. Alanna propose à son frère d’inverser les rôles : elle se rend à la cour du Roi et il parfait son éducation au couvent.
C’est ainsi qu’avec la complicité de la magicienne Maude et du soldat-forgeron Coram, Alanna commence sa carrière de page. Elle se crée vite des amis et des ennemis. Et bien qu’elle soit prise en grippe par le jeune Alron, elle impressionne son entourage par ses aptitudes guerrières et son don de guérisseuse. Mais elle devient peu à peu une jeune fille et il lui devient difficile de tenir son rôle d’apprentie chevalier.
L’apprentie chevalier
Le récit est découpé en trois parties : la période familiale, relativement courte, où les jumeaux, Thom et Alanna, se séparent, la période d’apprentissage à la cour, où Alanna s’exerce à l’art militaire en tant que page, et l’expédition vers la Cité noire en compagnie de ses compagnons écuyers. Au cours de sa phase d’apprentissage (la période la plus longue), Alanna sait s’attirer l’amitié de ceux qui comptent à la cour, quel que soit leur âge. Son souci de bien faire, son entêtement, son courage devant l’adversité et son respect de l’esprit chevaleresque lui valent le respect. Quand elle utilise ses dons pour soigner le prince Jonathan d’une maladie maléfique, sa cote monte d’un cran. Elle a tôt fait de repérer les méchants qu’ils soient écuyers ou sorciers et l’on devine qu’elle jouera un rôle clé dans la protection de la famille royale menacée.
Le récit est écrit simplement. Il s’adresse d’abord aux jeunes collégiennes, mais il est accessible à tous dès 9-10 ans, pour peu qu’on ne soit pas effrayé par les 300 pages et l’absence d’illustrations intérieures. Il comprend de nombreuses mises en garde sur l’amitié, sur la valeur humaine indépendante de la condition sociale, sur la transformation du corps d’une jeune fille, sur l’importance de l’effort et de la persévérance.
Plus qu’une jeune Jeanne d’Arc, Alanna est une fille moderne, projetée au Moyen-âge, et qui cherche à réaliser ses rêves dans un monde qui ne la favorise pas. Sans vouloir transformer la société, elle détourne les codes qui lui permettront de satisfaire ses aspirations, en assumant, parfois à contre-cœur, son statut de fille.
Il se passe beaucoup de choses dans ce premier roman. On découvre, en même temps qu’Alanna, son tempérament, sa force de caractère face à l’adversité et l’ébauche de ses pouvoirs magiques. Les relations avec son père, plongé dans ses grimoires, sont quasi-inexistantes. Les relations avec son frère jumeau, futur grand sorcier devin, sont traitées très rapidement. On passe un peu vite, à vrai dire, à la première expédition et à l’aventure. On aurait aimé avoir un teasing sur la Cité noire, par exemple, avant de passer aux choses sérieuses. Il y avait sans doute matière à faire deux romans de l’histoire.
Les filles regretteront, pour certaines, l’absence d’histoire d’amour. Alanna est trop tournée vers son désir de réussir et de ressembler aux garçons. Il n’est question que d’amitiés dans ce premier livre, mais il est clair que les relations avec le roi des voleurs, à qui elle a confié son secret, ou avec le prince Jonathan devraient vite prendre une autre forme. Un peu de patience, donc, Mesdemoiselles.