Lavinia

Ursula K. Le Guin, née en 1929, a eu le temps de se construire une œuvre, depuis la parution de ses premiers écrits dans les années 1960. Avec une cinquantaine d'ouvrages, vingt-cinq prix les récompensant, elle s'est fait un nom dans les littératures de l'Imaginaire où s'inscrivent la plupart de ses textes. Citons Les Contes de Terremer ou le monumental Cycle d'Ekumen.
Ursula K. Le Guin a reçu en 2002 le titre de Grand Maître de la Science Fiction, décerné par le jury du prix Nebula.

Entre les pages de l'Enéide

Familiarisée avec la célèbre épopée de Virgile qu'elle a étudiée en cours de latin, Ursula K. Le Guin s'étonne de certains des silences du poète. Au champ VII de l'Enéide, le Troyen arrive au Latinium où il doit épouser Lavinia, fille du roi local. C'est à cette fille de roi dont on sait peu de choses, finalement, que va s'intéresser Le Guin.
L'auteur nous plonge dans la vie quotidienne simple et pieuse de ce cette femme qui, étrangement, se sait personnage d'un récit qui lui sera postérieur. Entre les éléments connus de la légende va se dessiner une nouvelle histoire, celle de la femme qui, en refusant de choisir un époux parmi les siens, a déclenché une guerre.

Destin et Liberté

Lavinia est l'enfant unique d'un roi soucieux de préserver la paix et d'une reine devenue folle après la perte de ses fils. Soumise aux devoirs imposés à une princesse, soumise à la volonté des Dieux dont les préoccupations la dépassent, soumise aussi aux facéties de l'auteur de l'Enéide, Lavinia parle clairement de liberté. La liberté qui consiste à se construire une existence personnelle entre les mailles du déterminisme, à profiter des rares occasions qui lui seront offertes de choisir un chemin et à trouver la voix juste pour se raconter sans trop tricher.
Femme de pouvoir, cultivée, féministe avant la lettre, la Lavinia d'Ursula Le Guin ne s'égare pourtant jamais très loin du récit de Virgile.

Un bel hommage et bien plus encore

Lavinia puise à la source d'un des textes fondateurs de notre civilisation. Dans ce roman, pourtant, rien n'est mort. Les personnages, situés dans un contexte plausible ne sont jamais écrasés par le poids des descriptions et de la documentation. Ils sont offerts dans un écrin poétique, assez étranges pour captiver le lecteur, assez humains et étoffés pour être attachants.
On hésite à parler d'un roman de Fantasy. L'imaginaire ici s'appuie sans cesse sur une connaissance fine des aventures d'Enée. Ursula Le Guin tisse de sa voix propre un récit personnel et traite le texte du poète antique avec le respect dû aux maîtres que l'on admire. C'est la force de l'hommage ici rendu à Virgile et, par la même occasion, à un professeur de latin qui a su susciter un tel intérêt pour la littérature ancienne.
Lavinia est un excellent roman, au-dessus de la notion de genre.