Livre
Photo de Sur le fleuve

Sur le fleuve

Léo Henry ( Auteur), Jacques Mucchielli ( Auteur), Stéphane Perger (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/12  -  Livre
ISBN : 9782953595185
Commenter
Lavadou   - le 31/10/2017

Sur le fleuve

Après deux recueils de nouvelles, Yama Loka Terminus et Bara Yogoï (et bientôt trois avec Tadjélé, qui sortira en novembre 2012 chez Dystopia), Léo Henry et Jacques Mucchielli s’attaquent au roman avec Sur le fleuve, premier ouvrage exclusivement numérique des éditions Dystopia Workshop (et disponible uniquement via leur site). Les précédents livres de Mucchielli et Henry étaient construits comme des expérimentations littéraires autant que comme des compositions de fragments autour de Yirminadingrad, ville imaginaire détruite, désolée, détraquée, dans laquelle des humains, ou plutôt leurs fantômes, tentent de survivre tant bien que mal dans des simulacres de sociétés. Sur le fleuve se démarque complètement de ces recueils par une intrigue relativement simple, linéaire, au pitch déjà vu cent fois : la quête des cités d’or incas par les conquistadors.

L’Eldorado au bout du fleuve

On suit donc les aventures d’une expédition européenne en terre indienne, menée par un noble castillan assisté, entre autres, d’un inquisiteur espagnol, d’un capitaine néerlandais et d’un mercenaire corse. Sans oublier la femme indigène du maître de l’expédition, et un prêtre défroqué italien rencontré en chemin, qui vit dans la jungle depuis plusieurs années. Ils suivent tous un fleuve sans fin dans l’espoir de découvrir les cités d’or. Mais après avoir incendié un village indien et la hutte abritant leurs cérémonies religieuses, l’expédition commence à subir des pertes humaines. Il semblerait qu’une bête, peut-être un jaguar, les ait pris en chasse.

Une tension croissante et un voyage sans retour

De prime abord, pas de quoi fouetter un chat. À vrai dire, le début de Sur le fleuve laisse dubitatif quant à l’intérêt du livre, surtout quand on a goûté à la plume complexe et foisonnante des nouvelles. L’histoire semble convenue, sans surprise, et on voit poindre assez rapidement l’aspect fantastique du roman. Pourtant, on ne peut s’empêcher de continuer la lecture, car le style de Henry et Mucchielli, s’il n’est pas aussi riche que dans leurs nouvelles, est diablement efficace : fluide, il parvient à rendre unique chaque scène malgré la répétition des décors et des situations. En effet, la vie des aventuriers est plutôt monotone, entre bivouacs sur les berges et navigation sur le fleuve. Pourtant, on ne s’ennuie pas un seul instant. Mieux, au fur et à mesure, malgré la simplicité de l’intrigue, on est véritablement happé par l’histoire, celle d’un carnage en règle, d’une fuite en avant inexorable et sans retour. L’inquiétude s’installe petit à petit, la jungle devient oppressante, les soupçons rongent les membres de l’expédition au sujet d’un possible traître parmi eux. S’installent alors une tension grandissante et une ambiance contaminée par la peur qui gagne les chercheurs d’or, et qui nous gagne à notre tour. C’est en cela que le style est efficace : le récit se lit d’une traite, avec une espèce de fébrilité qui ne nous lâche qu’à la fin.

À cela s’ajoutent des personnages qui sortent bien vite des clichés dans lesquels on les croit enfermés au début du roman. À l’occasion de brefs souvenirs, leur passé vient se fondre dans le présent, ouvrant en eux des failles, dévoilant des contradictions, comme l’inquisiteur qui vient chercher dans le Nouveau Monde l’absolution des crimes commis au nom de sa religion. L’amour et la haine les animent et les déchirent, la quête de l’or rejoint la quête de sens, la quête de soi. Ce n’est pas forcément très original, mais c’est admirablement exprimé.

Au final, d’un pitch plutôt banal qui laissait entrevoir un énième récit de chercheurs d’or, Mucchielli et Henry livrent un roman très convaincant, entraînant, qui démontre que leur talent s’exprime aussi bien dans l’expérimentation que dans une forme plus classique, aussi bien dans le format court que long. Et aussi bien sur papier que sur les écrans des liseuses, sur lesquels la magnifique couverture du talentueux Stéphane Perger sera du plus bel effet. 

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?