Ce qui n'est pas nommé

Roland C.Wagner - Ce qui n'est pas nommé

Un météore

Disparu en 2012, Roland C. Wagner a marqué de son empreinte le petit monde de la science -fiction française. Après avoir traîné adolescent dans les conventions de science-fiction, il publie sa première nouvelle en 1981 et devient chroniqueur à Fiction et dans le magazine de jeux de rôle Casus Belli (c’est là que l’auteur de ces lignes le lit pour la première fois et il lui doit d’avoir attiré son attention sur Norman Spinrad et un roman de sf français oublié mais très réussi, Zoomby de Vincent Gallaix). Parallèlement il devient un pilier de la collection Anticipation avec un certain succès : Poupée aux yeux morts obtient ainsi le prix Rosny Aîné en 1989. Puis il se lance dans la série des Futurs mystères de Paris (et signalons l’hommage à Eugène Sue) et signe en 2011 un roman saisissant, Rêves de gloire, imaginant que l’Algérie française s’est maintenue. Les moutons électriques rééditent ici quatre novellas de l’auteur, une manière de découvrir la palette de ses talents, on va le voir.

Quatre univers

Ce qui n’est pas nommé n’est pas un hommage à Lovecraft mais raconte l’histoire d’un peuple, les Shôrs qui ont dû se réfugier dans des recoins peu hospitaliers pour fuir un envahisseur (l’homme ?). Pour se protéger, ils ont changé leur langage et leur culture, abandonnant certaines techniques, pour ne plus attirer l’attention. Dans Pax Americana, les Etats-Unis ont capté l’essentiel des ressources en Pétrole mais se retrouvent désormais dépassés par les chinois qui ont conquis Mars. Ils doivent donc rechercher l’alliance européenne, ce qui n’est pas une sinécure. Musique de l’énergie décrit l’histoire d’un groupe de rock dans une Amérique désunie. Rick et ses potes manquent de se faire tuer à Seattle par des flics au service des puritains et sont sauvés par… L’esprit du rock. Celui-ci leur montre très vite que le sort de l’humanité se joue dans la psychosphère, les archétypes luttant contre les archétypes (dont celui de Reagan !). Pour qui hurlent les sirènes, inédite jusqu’à ce jour, raconte comment un chanteur de rock, pas mal dans la drogue, lutte contre l’influence du disco-diskö qui abrutit les masses.

Il faut relire Wagner

(Re)Lire ici notre auteur nous replonge dans ce qu’on appelait autrefois lors de joutes critiques la fiction spéculative (ou Speculative-fiction dans la langue du divin Shakespeare) issue de la contre-culture des années 60. En ce temps-là on était fan de rock, contre la guerre du Vietnam et on écoutait Timothy Leary quand il incitait la jeunesse à tout larguer. Cela a donné en SF des chefs d’œuvres, comme ceux de Spinrad, Silverberg, Delany ou d’autres. Quand on lit Musique de l’énergie, on réalise à quel point Wagner est leur enfant (comme beaucoup d’entre nous). On y croise Iggy Pop et qui dit Iggy dit Bowie, un génie qui nous manque. On aimerait lire des textes troussés comme celui-là, histoire de croire à quelque chose dans ce monde qui ressemble à un croisement de 1984 et du Troupeau aveugle… Vive la SF à la Wagner ! Au boulot les futurs écrivains !

Sylvain Bonnet